Les nouvelles mesures de lutte contre le terrorisme que doit proposer le Gouvernement iront-elles jusqu’à étendre la censure sur simple ordre du ministère de l’intérieur aux sites racistes et antisémites, et par extension fâcheuse aux sites antisionistes ? La question est plus que jamais d’actualité après le communiqué publié vendredi par la ministre de la Justice Christiane Taubira, qui a présenté à l’Ecole Nationale de Magistrature ses propositions de « lutte contre le racisme, l’antisémitisme et les discriminations« .
Selon le communiqué, Mme Taubira a proposé — ce qui est un comble s’agissant d’une garde des Sceaux et ce qui contredit ses positions de l’été dernier — de « confier à l’autorité administrative la possibilité de bloquer les sites et messages de haine raciste ou antisémite« , c’est-à-dire d’étendre à ces délits les mesures de censure policière prévues pour l’apologie du terrorisme et la pédopornographie. Il s’agirait de confier au ministère de l’intérieur le soin d’établir les listes de sites à bloquer sans contrôle de leur illégalité par un magistrat.
Or l’on sait que le Premier ministre Manuel Valls a une vision particulièrement large de ce qu’est l’antisémitisme, puisqu’il y inclut non seulement la haine à l’encontre des Juifs, ce qui ne fait pas débat, mais aussi désormais les discours les plus virulents et systématiques contre la politique interne ou étrangère d’Israël, et contre les personnalités dites « sionistes » qui la soutiennent. La frontière n’est certes pas toujours simple à établir entre l’antisionisme et l’antisémitisme, surtout lorsque le premier sert de faux-nez au second, mais la distinction reste absolument nécessaire en démocratie, et ne peut pas être confiée à l’Etat.
Manuel Valls avait exprimé une première fois la confusion des genres dans un discours incroyable prononcé au Trocadéro le 19 mars 2014, lors d’un rassemblement organisé par le Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF). « Cet antisémitisme, et c’est la nouveauté, se nourrit de la haine d’Israël. Il se nourrit de l’antisionisme », avait-il déclaré. « Parce que l’antisionisme, c’est la porte ouverte à l’antisémitisme. Parce que la mise en cause de l’Etat d’Israël, (…) basée sur l’antisionisme, c’est l’antisémitisme d’aujourd’hui. C’est pour cela qu’il faut être d’une très grande détermination« .
« Nous devons faire corps pour combattre cet antisémitisme nouveau, qui se nourrit de l’antisionisme, qui se déverse sur la toile et sur l’Internet. Il nous faut réfléchir, il nous faut travailler, il faut si c’est nécessaire, légiférer« , avait-il ajouté.
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Un an plus tard, Manuel Valls n’a pas obtenu grand chose sur le front du combat contre les sites antisionistes, malgré l’engagement verbal de François Hollande. « Votre gouvernement doit parler d’une voix plus ferme sur ces sujets« , avait intimé le président du CRIF Roger Cuckierman face au président de la République, qui lui avait répondu qu’en effet, « si nous arrivons à lutter contre les images pédophiles, nous devons aussi réussir à lutter contre les messages délibérément racistes et antisémites« .
Mais les attentats commis contre Charlie Hebdo et contre l’épicerie juive de Vincennes ont remis le sujet de la confusion de l’antisémitisme et de l’antisionisme sur le devant de la scène. Manuel Valls a pu profiter des tristes événements pour rappeler sa position. « L’antisémitisme, le racisme, les actes anti-chrétiens sont des délits. Il y a un an face à Dieudonné, je me suis senti un peu seul« , a-il déploré dès le samedi 10 janvier, au lendemain de l’opération menée avec succès contre les frères Kouachi et Amedy Coulibaly.
La tentation de censurer les discours antisionistes (dont il faut rappeler et marteler qu’ils sont absolument légaux en ce qu’ils se contentent de contester une politique pour ce qu’elle produit et non un peuple pour ce qu’il est) n’est pas nouvelle, ni une exclusivité de Manuel Valls. En juillet 2013, l’ancien ministre et actuel député UMP Frédéric Lefebvre avait dit vouloir « éradiquer la propagande antisioniste » sur Internet.
Tant que la justice reste garante de la nécessaire distinction entre antisionisme et antisémitisme, ces discours politiques restent sans grande conséquence. Cependant si la proposition de Christiane Taubira de confier au ministère de l’intérieur le soin de qualifier lui-même les sites qu’il estime être antisémites, et d’en ordonner le blocage immédiat, le risque d’une dérive attentatoire à la liberté d’expression devient extrêmement fort.
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