C'est un arrêt très attendu qui, bien que portant sur une oeuvre matérielle, pourrait avoir des conséquences importantes pour les droits des internautes qui achètent des oeuvres dématérialisées. La Cour de Justice de l'Union Européenne (CJUE) a rendu ce jeudi 22 janvier 2015 son arrêt Art & Allposters, qui concernait l'épuisement des droits de distribution d'une oeuvre fixée sur un support matériel, transférée vers un autre support.
En l'espèce, le litige né aux Pays-Bas opposait une société de gestion collective de droits d'auteurs d'images, Pictoright, au vendeur d'affiches Allposters. Ce dernier vend des posters pour lesquelles les droits de reproduction et de distribution des images ont déjà été négociés par l'éditeur, mais propose également de recevoir ces affiches sur des supports plus haut-de-gamme, par exemple en les montant sur des plaques de bois, en les encadrant ou en les plastifiant. Or parmi ces services, Allposters propose aussi de recevoir l'affiche sous forme de tableau de peintre, grâce à un procédé chimique qui permet de transférer l'encre du poster vers la toile. C'est ce procédé que Pictoright conteste, au motif qu'il violerait le droit exclusif de distribution de l'auteur, qui comprend le fait d'autoriser ou non la distribution de copies de l'original.
Allposters estimait qu'il n'y avait pas copie de l'oeuvre puisque l'encre disparaissait du poster, et que Pictoright ne pouvait pas s'opposer à la vente de cette encre ainsi transférée, en vertu du principe de l'épuisement des droits prévu par les textes internationaux. Le principe veut qu'une fois qu'une oeuvre fixée sur un support est vendue en Europe avec l'autorisation de l'auteur, celui-ci n'a plus de contrôle sur les reventes successives. C'est ce qui permet le marché de l'occasion.
De son côté, Pictoright estimait cependant que la licence de distribution de l'oeuvre avait été accordée pour un poster, pas pour une reproduction sur une toile, dont la qualité et le prix de vente auraient justifié à ses yeux de vendre la licence plus chère.
LA FRANCE A PESÉ DANS LA DÉCISION
C'est cet avis qu'a suivi la CJUE, avec l'appui de la France qui est intervenue à l'affaire pour donner son point de vue. La Cour note que le transfert sur toile permet "d’augmenter la durabilité de la reproduction, d’améliorer la qualité de l’image par rapport à l’affiche et de rendre le résultat plus proche de l’original de l’œuvre", et que "force est de constater, ainsi que le fait valoir à juste titre le gouvernement français, qu’un remplacement du support, tel qu’effectué dans l’affaire au principal, a pour conséquence la création d’un nouvel objet incorporant l’image de l’œuvre protégée".
Elle estime que malgré la disparition de l'oeuvre sur le support original, le transfert sur toile est "de nature à pouvoir constituer en réalité une nouvelle reproduction de cette œuvre", et que pour examiner l'épuisement des droits de distribution, "ce qui importe est de savoir si l’objet modifié, apprécié dans son ensemble, est, en soi, matériellement l’objet qui a été mis sur le marché".
Selon l'analyse qu'en fait la juriste Eleonora Rosati, la décision pourrait avoir une influence importante le jour où la CJUE examinera la même question de l'épuisement des droits pour la revente de livres ou de MP3 d'occasion sur Internet. En effet, la CJUE avait autorisé la revente de logiciels, mais en appliquant alors le droit spécial sur la protection des logiciels. La question se pose de savoir si une oeuvre artistique immatérielle peut faire l'objet d'une revente d'occasion. Or dans l'arrêt de ce jour, la Cour explique que l'épuisement des droits concerne exclusivement le support tangible sur lequel est fixé l'oeuvre, et non l'oeuvre elle-même. Ce qui laisse penser que la réalisation d'une copie nécessaire à une revente n'est pas couverte par l'épuisement.
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