Le 9 janvier 2015, le jour-même où les frères Kouachi et Amedy Coulibaly étaient tués par les forces d'intervention de la police et de la gendarmerie française, Mark Zuckerberg prenait son clavier pour écrire son "#JeSuisCharlie" sur Facebook. L'homme d'affaires laissait entendre à qui voulait le croire que le réseau social serait désormais un défenseur acharné de la liberté d'expression. "Voici ce que nous devons tous rejeter", avait-il écrit : "un groupe d'extrémistes qui essayent de réduire les voix et opinions de tous les autres à travers le monde".
Mais on aurait eu tort d'y voir l'annonce d'une évolution des pratiques de Facebook. Car tout est dans la subtilité des mots qu'il avait pris soin de peser. "Nous suivons les lois de chaque pays, mais nous ne laissons jamais un pays ou un groupe de gens dicter ce que les gens peuvent partager à travers le monde", avait écrit Mark Zuckerberg. En revanche, les pays gardent donc le droit de dicter pour chez eux ce qu'ils souhaitent autoriser ou interdire, et Facebook ne s'y opposera pas.
C'est ainsi que le réseau social semble avoir accepté sans faire appel le verdict d'un tribunal turc, qui exige le blocage de pages sur lequel figuraient des images du Prophète Mohamet, ce qu'une partie importante du monde musulman considère inacceptable. Facebook a accepté la sentence pour ne pas encourir un blocage total du réseau social, dans un pays qui compte plus de 32 millions d'utilisateurs du réseau social. Les pages en question, qui concernent en particulier celles du quotidien turc dont le site a été bloqué en raison de sa diffusion de la dernière couverture de Charlie Hebdo, seront bloquées pour les seuls utilisateurs turcs.
La logique de l'application du droit national de chaque état sur Internet est respectée et respectable, mais elle a aussi ses limites.
RESPECTER AUSSI LA LIBERTÉ DE CONSCIENCE ?
Si l'on considère qu'il existe une universalité et une indivisibilité des différents droits de l'homme, ce qui est aussi la logique rappelée par les membres de l'ONU lors de la Déclaration et du programme d'action de Vienne de 1993, la liberté d'expression ne vaut pas davantage que la liberté de conscience et de religion. Or celle-ci emporte le droit de vivre sa religion paisiblement, et d'être respecté dans sa conscience.
Si Facebook voulait respecter non pas simplement les lois et la justice de chaque pays, mais la liberté de conscience de chaque utilisateur, le mieux serait sans doute qu'il propose à chacun d'entre eux un filtrage à la demande, en fonction des sensibilités de chacun, comme peut le faire grossièrement Google avec son SafeSearch. L'on choisirait alors soi-même de refuser de voir des corps nus ou de refuser de voir des caricatures du Prophète, en adultes responsables, en fonction de ses convictions et de sa sensibilité propres, sans avoir à se réfugier dans un pays qui impose ces censures conformes à ses valeurs.
Toutefois au delà de la question fondamentale de l'acceptation des différences dans un espace d'échanges où l'on n'accepterait plus que ce qui est fidèle à ses propres idéaux, le problème serait aussi l'enrichissement supplémentaire de la connaissance intime qu'a Facebook de chaque utilisateur, au détriment de la vie privée.
Et l'on saisit là toute la problématique de la centralisation imposée par des services comme Facebook, qui ne permettent pas à l'utilisateur d'être maître de sa propre censure, en toute discrétion, comme c'est le cas par exemple avec l'installation en local d'un logiciel de contrôle parental.
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