Peut-on refuser de donner à la justice sa clé de déchiffrement pour éviter qu’elle ait accès aux données qui ont été verrouillées par une technique de cryptographie ? Telle est la délicate question qui est arrivée devant le Conseil constitutionnel le 12 janvier, à la suite d’une question prioritaire de constitutionnalité qui s’est posée dans le cadre d’une affaire judiciaire que la Cour de cassation doit trancher.
La difficulté qui se pose porte sur une contradiction apparente dans le droit français. D’un côté, le code pénal prévoit des dispositions qui obligent toute personne à remettre la clé de déchiffrement si la technique de cryptographie qui y est associée est d’une façon ou d’une autre concernée par un crime ou un délit. Mais de l’autre, les textes ont aussi des dispositions protectrices pour les prévenus.
En effet, le code pénal, dans son article 434-15-2, fixe une peine de prison maximale de 3 ans et une amende 45 000 euros pour toute personne refusant de remettre la clé de déverrouillage — que l’on appelle la convention secrète de déchiffrement — si le moyen de cryptologie qui y est associé est « susceptible d’avoir été utilisé pour préparer, faciliter ou commettre un crime ou un délit ».
Les sanctions passent à 5 ans de prison et 75 000 euros d’amende s’il est avéré que le refus de transmettre cette information « aurait permis d’éviter la commission d’un crime ou d’un délit ou d’en limiter les effets ». Le droit en fait même une circonstance aggravante si « un moyen de cryptologie […] a été utilisé pour préparer ou commettre un crime ou un délit, ou pour en faciliter la préparation ou la commission ».
L’obligation de parler face au principe de ne pas s’incriminer soi-même
Cependant, rappelait la Commission nationale de l’informatique et des libertés il y a deux ans, « ces dispositions ne peuvent pas conduire à obliger les personnes mises en cause à fournir les informations utiles à l’enquête. En effet, le droit de ne pas s’auto-incriminer est un droit fondamental ». Pour le dire simplement, les prévenus ont le droit de garder le silence pour ne pas se mettre plus en difficulté.
Ce droit « trouve son origine dans la Convention européenne des droits de l’homme et dans la jurisprudence de la Cour européenne », ajoute la Commission. « Il constitue un élément de la présomption d’innocence qui interdit à l’accusation de recourir à des éléments de preuve obtenus sous la contrainte ou par des pressions », précise Roseline Letteron, professeure de droit public à l’université Paris-Sorbonne.
D’où cette question prioritaire de constitutionnalité, dont le « caractère sérieux » est admis par la Cour de cassation, qui ajoute que la disposition législative contestée, à savoir l’article 435-15-2 du code pénal, « n’a pas été déjà déclarée conforme à la Constitution » par le Conseil constitutionnel. Et qu’en conséquence, il n’est pas sûr que cette obligation réponde aux exigences de notre norme juridique suprême.
En effet, la question s’interroge sur l’articulation de l’article avec le « principe du droit au procès équitable prévu par l’article 16 de la Déclaration des Droits de l’homme et du Citoyen du 26 août 1789, [le] principe de la présomption d’innocence, duquel découle droit de ne pas s’auto-incriminer et le droit de se taire, prévu à l’article 9 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen du 26 août 1789 ».
Une réponse du Conseil constitutionnel est attendue d’ici trois mois.
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