La Quadrature du Net et la fédération de fournisseurs d'accès à internet associatifs FFDN ont annoncé mercredi avoir saisi le Conseil d'Etat aux fins de faire annuler le décret du 24 décembre 2014, qui aménage la mise en oeuvre d'un article contesté de la loi de programmation militaire (LPM) sur la collecte de données auprès des fournisseurs d'accès à internet, des opérateurs téléphoniques et des hébergeurs.
La loi et son décret d'application permettent à toute une série d'agents du ministère de l'intérieur, de l'unité de coordination de la lutte antiterroriste, de la gendarmerie nationale, de la préfecture et du ministère de la défense et des services fiscaux de Bercy d'obtenir des données personnelles sur des internautes sans recevoir l'autorisation préalable d'un juge. La procédure administrative est ouverte, en principe à titre "exceptionnel", pour tout ce qui peut permettre à l'Etat de "rechercher des renseignements intéressant la sécurité nationale, la sauvegarde des éléments essentiels du potentiel scientifique et économique de la France, ou la prévention du terrorisme, de la criminalité et de la délinquance organisées et de la reconstitution ou du maintien de groupements dissous".
Alors que la loi avait été adoptée en décembre 2013, la publication un an plus tard du décret d'application offre l'occasion à l'association de saisir le Conseil d'Etat en contestant la proportionnalité du dispositif prévu. C'est la toute première fois que la Quadrature du Net sort de son rôle de lanceur d'alertes pour attaquer elle-même en justice. "Au travers de ce recours, c'est en effet le principe même d'une surveillance généralisée de la population qui est mis en cause. Le régime applicable s'appuie sur l'ensemble des acteurs de l'Internet — fournisseurs d'accès et hébergeurs situés sur le territoire français —, en les obligeant à conserver pendant une durée d'un an l'ensemble des données de connexion des utilisateurs d'Internet", explique La Quadrature du Net.
UN DISPOSITIF DISPROPORTIONNÉ
Le 8 avril 2014, la Cour de Justice de l'Union Européenne (CJUE) a jugé que la directive européenne sur la conservation des données était disproportionnée, et donc qu'elle violait les droits fondamentaux des internautes. Or selon la Quadrature du Net, au contraire de certains de ses voisins la France n'a pas tenu compte de cet avis de la CJUE, qui s'impose à l'ensemble des états membres de l'UE. En tant que juridiction administrative, le Conseil d'Etat a le devoir de faire lui-même respecter la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, et de s'appuyer sur la jurisprudence de la CJUE.
"Au contraire, ces derniers mois ont vu l'adoption des nouvelles législations d'exception, avec non seulement la LPM mais aussi la loi de novembre 2014 de lutte contre le terrorisme", condamne l'association. "Alors que les crimes odieux au Moyen-Orient et en Afrique ou les attentats meurtriers des 7 et 9 janvier dernier sont actuellement l'objet d'une honteuse instrumentalisation sécuritaire, avec des appels à l'élargissement de la surveillance et à la criminalisation du chiffrement des communications, il est grand temps qu'en France aussi ce débat puisse avoir lieu, à la fois dans l'espace public et devant les juridictions".
L'association espère que son recours ouvrira la voie à une question prioritaire de constitutionnalité, puisque la LPM n'avait pas été soumise au Conseil constitutionnel.
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