- "Ce blocage, que nous voulons ciblé et limité au strict nécessaire", avait promis Bernard Cazeneuve lors de l'ouverture des débats parlementaires le 15 septembre 2014. Mais est-ce vraiment "ciblé et strictement nécessaire" que de bloquer sans jugement contradictoire l'accès à un site internet de presse ainsi accusé de faire l'apologie du terrorisme, ce qu'il dément ? Nos quelques recherches dans le cache de Google ou sur la page Facebook du site n'ont pas permis de trouver de contenus mis en en ligne par Islamic-News qui appelleraient à commettre des actes terroristes ou se féliciteraient d'attentats commis ou projetés.
- Cela ne veut pas dire que des contenus illicites n'existent pas, mais la démocratie ne devrait pas imposer de faire confiance à la police sur la qualité de ses propres jugements. La démocratie impose la transparence. Chaque citoyen doit pouvoir vérifier le bien-fondé des décisions prises en son nom, or en l'espèce le blocage n'est pas motivé par la moindre décision publique. Il est affirmé sur la page de redirection que le contenu d'Islamic-News "provoque à des actes de terrorisme ou fait publiquement l'apologie d'actes de terrorisme", mais sans que le moindre début de preuve soit apporté. Or l'internaute ne peut pas lui-même vérifier, sauf à contourner le blocage qui l'empêche de vérifier le bien-fondé de l'accusation.
- Lors des débats parlementaires, le ministre avait affirmé que les sites bloqués seraient des sites dont l'illégalité ne ferait aucun doute. Or l'illégalité de Islamic News ne semble pas être de la première des évidences. C'est bien pour cela que le rôle du juge est primordial, et que l'on craint que ce soit aussi pour cela que le juge est contourné. Garant des libertés, il aurait peut-être jugé que le site exerçait son droit à la liberté d'expression, fut-ce pour proférer des opinions choquantes qui déplaisent au Gouvernement, ou qui sont contraires à ses intérêts stratégiques.
- Pour justifier le recours aux ordres de police plutôt qu'à la justice, le Gouvernement avait argué de la nécessité d'aller vite pour contrer la propagande lorsqu'elle apparaissait sur Internet, sans subir la lenteur judiciaire. Mais Islamic News était en ligne depuis 2013. Où était l'urgence de faire fermer ce site en particulier, en se passant y compris d'une procédure de référé, accomplie en quelques jours à peine ?
- Rappelons que la Cour Européenne des Droits de l'Homme (CEDH) estime que "l’essence de la démocratie tient à sa capacité à résoudre des problèmes par un débat ouvert" et que "des mesures radicales de nature préventive visant à supprimer la liberté de réunion et d’expression en dehors des cas d’incitation à la violence ou de rejet des principes démocratiques – aussi choquants et inacceptables que peuvent sembler certains points de vue ou termes utilisés aux yeux des autorités, et aussi illégitimes les exigences en question puissent-elles être – desservent la démocratie, voire, souvent, la mettent en péril". Tout le problème est de savoir si Islamic News incitait effectivement à la violence, ce qui n'est pas publiquement démontré.
- Dans son étude d'impact, le Gouvernement justifiait la nécessité d'un blocage administratif par le fait que "la grande majorité des sites faisant l’apologie du terrorisme et provocant à une radicalisation, à l’instar des sites pédopornographiques, sont hébergés à l’étranger". En l'espèce, Islamic-News était hébergé en France par OVH. L'hébergeur n'a pas été sollicité, faute pour Islamic-News d'avoir signalé publiquement dans des mentions légales qu'il était hébergé chez ce prestataire (ce qui pouvait néanmoins se vérifier très facilement, le ministère de l'intérieur ayant préféré ne pas diligenter la moindre enquête).
- Le recours gracieux ou le recours hiérarchique seront réputés rejetés en l'absence de réponse dans les deux mois. Il suffira donc que les services du ministère de l'intérieur gardent le silence pour conserver le blocage sans avoir à s'en expliquer. La seule possibilité pour le site en cause sera d'attendre l'expiration des deux mois pour introduire un recours au fond devant le tribunal administratif de Cergy-Pontoise, ou de tenter une procédure de référé-liberté.
- Le blocage administratif des sites d'apologie du terrorisme a été imposé dans la loi sans vérification par le Conseil constitutionnel, alors que l'examen de sa jurisprudence ne permet absolument pas de prédire son approbation. S'il a validé le blocage des sites d'images pédophiles sur ordre policier, c'est sur la base d'un constat objectif : la présence d'images pornographiques impliquant des enfants. L'apologie du terrorisme est en revanche un sujet beaucoup plus subjectif, qui impose certainement l'examen judiciaire.
- Sur le fond, le blocage du site est un signe de faiblesse de la part de la France, qui n'a pas suffisamment foi dans la force de conviction de ses propres arguments, et se sent obligée à la fois de payer Google pour faire connaître ses arguments, et de censurer les sites de ses adversaires. Or ce n'est certainement pas en démontrant ainsi sa faiblesse que l'on combat le mieux le terrorisme, qui puisera de la force dans cette censure.
- En redirigeant les internautes vers une page d'accueil sous son contrôle, le ministère de l'intérieur se donne les moyens de connaître les adresses IP de tous les internautes qui demandent à visiter ces sites, potentiellement au mépris de la liberté d'opinion. Nous attendons des précisions du Gouvernement sur la politique de conservation des données de connexion, et leur éventuelle exploitation.
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