Bernard Cazeneuve a beau ne pas porter "Monsieur Facebook" dans son coeur, le ministre de l'Intérieur a tout de même besoin de nouer avec lui des relations diplomatiques étroites. Après sa visite aux Etats-Unis le février dernier pour les convaincre de collaborer plus étroitement, Bernard Cazeneuve a reçu mercredi des représentants de Google, Facebook, Microsoft, Apple et Twitter, ainsi que des représentants des fournisseurs d'accès à internet.
"Une plateforme de bonnes pratiques dans la lutte contre la propagande terroriste sur le Net en a résulté, qui a été actée lors de la réunion, inscrivant cette relation dans un processus solide et durable", écrit le ministère de l'Intérieur dans un communiqué. Selon le cabinet de Bernard Cazneneuve, la "plateforme de bonnes pratiques" prévoit notamment la création d'un label "permettant le retrait plus rapide des contenus sur Internet", le renforcement de la formation destinée aux policiers et aux gendarmes, et la création d'un groupe de contact permanent "permettant une réactivité opérationnelle".
Sentant peut-être que le vase est prêt à déborder, le ministère prend soin de dire dans son communiqué que "depuis maintenant une vingtaine d’années, Internet est une formidable révolution, source de libération pour le débat public dans bien des pays, et facteur d’innovation et de progrès humain". Mais pour ajouter bien sûr aussitôt que "la puissance d’Internet est aussi trop souvent mise à profit par les partisans de la haine et de l’intolérance".
"LES TERRORISTES N'ONT PAS LEUR PLACE SUR FACEBOOK"
"La France défend des valeurs qu’elle partage avec le monde de l’Internet : le respect des libertés fondamentales, le respect de la personne humaine, de la liberté d’expression et de la liberté de conscience. C’est la raison pour laquelle les autorités françaises ont besoin des grands opérateurs à leurs côtés, dans ce combat pour les valeurs de tolérance et d’humanisme", conclut-il dans une phrase qui est un modèle de langue de bois lorsqu'il s'agit surtout de renforcer la censure en temps de guerre (ça va mieux en le disant, ça ne rend pas la chose moins légitime, juste plus honnête).
"Les terroristes n’ont pas leur place sur Facebook", confirme à Numerama un porte-parole du réseau social. "Nous ne permettons pas à ce type de groupe, ni ceux qui les soutiennent, d’être présents sur notre service. En tant qu’acteur responsable et engagé, Facebook a entamé un dialogue depuis de nombreux mois avec le Ministère de l’Intérieur sur ce sujet. Facebook soutient cette initiative qui renforce la coopération en matière de lutte contre le terrorisme"
Contacté par Numerama, Facebook nous confirme qu'une charte en quatre points a été élaborée, qui prévoit :
- La poursuite du travail sur le retrait des contenus notifiés par les utilisateurs ou les autorités. Facebook précise que le retrait sera toujours validé manuellement après un regard humain, et qui'l ne s'agira que d'approfondir un travail déjà effectué par les équipes spécialisées, formées notamment après consultations du CRIF, de la LICRA ou de SOS Racisme.
- La création d'un guichet unique pour les demandes de retraits de contenus ou les demandes d'informations sur les utilisateurs, qui seront centralisées auprès d'un même service de l'Etat, pour standardiser les procédures et faciliter les échanges. Sur ce point, Facebook nous assure qu'il restera toujours aussi exigeant qu'il l'était sur le respect des critères légaux permettant de donner satisfaction aux demandes de la France.
- La formation des personnels du ministère de l'Intérieur.
- La création du groupe permanent déjà mentionné dans le communiqué du ministère.
Reste, comme toujours en matière de "terrorisme", la difficulté de savoir où et comment définir la ligne rouge entre terrorisme, acte de guerre et militantisme. S'il ne fait aucun doute que la pose d'une bombe dans un lieu public est un acte de terrorisme, la qualification est beaucoup plus ardue lorsqu'il s'agit d'attaques ciblées menées par des groupes armés ennemis contre des intérêts stratégiques de l'Etat. Par ailleurs faut-il parler de terrorisme, comme l'a fait François Hollande, pour qualifier les passeurs qui profitent de la misère d'exilés pour s'enrichir et les mettre en danger de mort ? Ce sont certainement des criminels. Des terroristes ? Moins sûr.
Et lorsqu'un internaute relaie sur sa page Facebook le discours de djihadistes, est-il systématiquement et nécessairement dans l'apologie, ou peut-il être dans le simple commentaire distancié ? Et lorsqu'il est "un peu des deux", à quoi doit profiter le doute ; à la liberté d'expression parce qu'elle est le véritable socle démocratique ; ou à la censure parce qu'elle participerait à garantir la sécurité ?
La qualification des propos est loin d'être aussi binaire que peut l'être un code informatique, et même des individus "formés" à cela auront bien du mal à prendre toujours la bonne décision entre censure et liberté. Or la responsabilité de Facebook ne sera jamais engagée par l'Etat s'il privilégie la sécurité à la liberté. D'où la crainte que cette forme de justice privatisée sous l'oeil du gouvernement ne profite in fine à la censure.
C'est d'autant plus gênant sur un média aussi influent que Facebook, qui compte 1,5 milliards de membres à travers le monde, et qui exclue de la communauté ceux qui n'auraient pas le discours approuvé par les autorités nationales d'une partie de ces membres.
Sans doute cette bataille pour le contrôle de l'information et de la propagande (qu'elle soit celle "du bien" ou celle "du mal") est-elle un des enjeux majeurs du 21ème siècle.
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