Il n'y avait aucun suspense, juste une quantité et une qualité inédite d'opposants (y compris chez les victimes du terrorisme), qui n'auront pas suffi. L'implacable logique d'institutions encore plus usées qu'un mouchoir de défenseur des droits de l'homme l'a emporté, et les députés ont adopté mardi le projet de loi sur le renseignement, en se fondant souvent sur des arguments trompeurs voire mensongers.
Manuel Valls en présentant lui-même le texte devant les députés — ce qui est rarissime pour un premier ministre ; et François Hollande en annonçant qu'il saisirait le Conseil constitutionnel pour écarter les craintes des députés, s'étaient assurés de mettre tout leur poids dans l'adoption du projet de loi. Il était impensable qu'il ne passe pas.
Présenté en procédure accélérée, le texte sera désormais renvoyé au Sénat, où il devrait faire l'objet d'un examen au cours du mois de juin. Il sera ensuite renvoyé en commission mixte paritaire pour négociations entre les deux chambres parlementaires, avant d'être présenté devant le Conseil constitutionnel, qui devrait rendre son avis dans le cours de l'été.
DE LA CRÉDIBILITÉ DU CONSEIL CONSTITUTIONNEL
Le Conseil constitutionnel qui n'avait pas été saisi de la loi antiterrorisme de novembre 2014 jouera sa crédibilité dans l'examen du texte. Contre le droit international, et plus spécialement encore contre le droit européen, que le Conseil constitutionnel a le devoir d'intégrer à son contrôle normatif, la loi prévoit notamment l'installation de boites noires pour surveiller l'activité des citoyens sur les services en ligne, et y déceler des comportements suspects susceptibles d'amener au terrorisme.
En dépit d'une mobilisation sans précédent et d'une unanimité jamais vue dans la société civile contre un texte touchant à la sécurité et aux libertés, rares étaient les députés de la majorité ou de l'opposition à avoir choisi d'assumer un vote contre le texte. Certains ont même paru trahir des engagements d'antan, à l'image de Christian Paul, qui a choisi l'abstention. qui avait signé en 2008 une tribune sur Numerama pour redouter que "la société de surveillance se construit à nos portes".
A la barre, André Chassaigne a d'abord condamné l'absence d'équilibre du texte au nom du groupe GDR (communistes), avant que Pascal Popelin n'ouvre le bal de la défense du le texte au nom du Parti Socialiste. "Légiférer c'est faire entrer l'Etat de droit là où les fantasmes l'attendent le moins", a-t-il déclaré. Eric Ciotti (UMP) prendra la suite pour dire que le texte ne doit recevoir "ni excès d'honneur, ni excès d'indignation".
Pour l'UDI, Michel Zumkeller a prévenu que "la protection des libertés est d'autant plus nécessaire que les techniques de renseignement progressent", et douté de l'équilibre du texte issus des débats à l'Assemblée. Mais il a finalement salué des avancées, notamment sur les boîtes noires (modifications pourtant très modestes), et donc annoncé un vote favorable de son groupe, dans sa majorité. Alain Tourret, pour les Radicaux, s'est quant à lui livré à un réquisitoire contre les opposants au texte. "On croit bien rêver quand on entend Madame Le Pen parler de texte liberticide" dira-t-il pour associer tous les opposants, même les plus farouches défenseurs des droits de l'homme, au Front National.
C'est finalement Serge Coronado, présent dès le travail en commission pour combattre le projet de loi, qui ferma le bal, avant que le rideau ne s'abatte sur le respect de la vie privée, au nom de la sécurité. Toujours plus de sécurité. Toujours moins de liberté.
Rendez-vous au prochain attentat pour continuer cet éternel refrain ?
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