Un rapport du renseignement américain s’alarme des capacités anti-satellites de la Russie et de la Chine, qui seraient pratiquement opérationnelles. Pour les USA, dont la puissance militaire repose en grande partie sur l’espace, c’est un problème.

Née pendant la guerre froide, la militarisation de l’espace est un phénomène qui tend à s’accroître : en effet, les États capables d’envoyer en orbite des satellites militaires par leurs propres moyens sont de plus en plus nombreux. Or, cela leur permet aussi de développer des capacités dans le domaine balistique, la propulsion d’une fusée ou d’un missile faisant appel à des technologies identiques.

Cette militarisation spatiale ne se fait pas n’importe où : elle se déroule exclusivement dans la zone circumterrestre, c’est-à-dire autour de la Terre. En effet, c’est à ce niveau que sont placés ces satellites, car ils ont besoin d’être à une altitude assez basse pour pouvoir collecter efficacement du renseignement (prendre des photos d’un territoire ennemi, capter des communications, etc).

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L’environnement immédiat de la Terre représente un intérêt stratégique.
CC Jaymantri

En aucune façon il n’est question de militariser l’espace au-delà de la proche banlieue de la Terre (quel serait, en effet, l’intérêt stratégique de procéder à la militarisation de l’orbite de Neptune ?). D’ailleurs, les outils permettant de surveiller l’évolution de ces satellites sont conçu pour l’orbite terrestre basse et non pas l’espace lointain. C’est le cas du système français GRAVES (Grand Réseau Adapté à la VEille Spatiale) :

Ce dispositif peut suivre tout objet dont la taille démarre à partir de 10 centimètres et située jusqu’à 1 000 km d’altitude — sachant que les satellites militaires sont situés généralement à quelques centaines de kilomètres de leur cible (mais il pourrait être inefficace dans le cas des satellites tueurs de satellites, si ceux-ci opèrent à plus longue distance, contre les satellites situés en orbite géostationnaire par exemple).

Or, le fait que les satellites de renseignement opèrent sur une orbite terrestre basse, à l’image des appareils français Helios 2A et 2B, les rend vulnérables à toutes sortes de contre-mesures, du rayon laser pour aveugler un satellite espion (les USA ont ainsi affirmé en 2006 que la Chine avait braqué un tel faisceau contre l’un de ses satellites) au missile balistique envoyé pour le détruire.

Et lorsque l’on sait que la technologie pour propulser une fusée est très semblable à celle servant pour un missile, il n’en faut guère plus pour affoler les milieux militaires.

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Un lanceur Falcon 9.

Source : SpaceX

Montée en puissance

Justement, il s’avère que le directeur du renseignement national aux États-Unis, dans le cadre d’un rapport partiellement déclassifié sur l’évaluation mondiale des menaces pesant sur la communauté américaine du renseignement, dont le site Space News se fait l’écho, s’inquiète du fait que les deux principaux rivaux stratégiques des USA, la Chine et la Russie, auront bien des capacités opérationnelles en la matière.

Un tir de missile anti-satellite.CC US Navy

Un tir de missile anti-satellite.
CC US Navy

L’objectif militaire est évident : dans le cas d’un conflit militaire limité, au hasard pour le contrôle de certaines îles dans la mer de Chine méridionale, la neutralisation de certains satellites permettrait de rendre partiellement ou totalement aveugle un adversaire. Le mouvement des troupes, la position de la ligne de front ou bien la situation sur ses propres forces seraient ainsi plus difficiles à déterminer.

« C’est grâce aux satellites que la terre est, pour la première fois, devenue un théâtre véritablement unifié qu’un commandement centralisé peut contrôle en temps réel et en continu. La dimension spatiale porte à l’extrême un double phénomène déjà observé à propos de la dimension aérienne : la dilatation de l’espace et la contraction du temps », observait ainsi l’expert en stratégie Hervé Coutau-Bégarie.

Le fait est que la Russie et la Chine ont dans les tuyaux depuis 2008 un projet de traité sur la prévention du placement d’armes dans l’espace extra-atmosphérique, de la menace ou de l’emploi de la force contre des objets spatiaux. Cependant, ce brouillon d’accord, qui est né lors d’une conférence sur le désarmement, n’a pas pour l’instant produit grand chose et ne semble pas pouvoir gérer le cas d’un tir de missile depuis la surface.

« La dimension spatiale porte à l’extrême  la dilatation de l’espace et la contraction du temps »

C’est la même chose  pour le traité de l’espace de 1967. S’il promeut une approche pacifique et interdit de placer de déployer ou d’installer des armes nucléaires et autres armes de destruction massive, le déploiement de moyens plus conventionnels ne paraît pas impossible, fait observer Jérôme de Lespinois, chercheur à l’Institut de recherche stratégique de l’École militaire et contributeur au Dictionnaire de la guerre et de la paix.

En la matière, les États-Unis ont des raisons légitimes de s’inquiéter. Leur hégémonie militaire est davantage bousculée par le retour en force de la Russie et de sa politique de puissance ainsi que par les progrès manifestes de la Chine. Or, l’espace est une dimension critique pour les États-Unis, puisque c’est-à-travers ce milieu qu’une part importante de ses capacités peut être mise en œuvre.

C’est typiquement le cas du GPS, un projet à l’origine militaire. Sans parler de tous les satellites de communication ou de renseignement ou même d’alerte précoce, qui servent à détecter… les tirs de missiles balistiques dotés d’une charge conventionnelle ou… nucléaire. Dans ces conditions, on comprend l’inquiétude du rapport du directeur du renseignement national face à ce rééquilibrage des forces.

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Les Américains ont de puissantes capacités balistiques.
CC Ford Williams

Cela étant, ce que peuvent faire la Russie et la Chine dans ce domaine, les USA peuvent aussi le faire. Leurs capacités en matière de missile balistique sont aussi très développées, sans doute les plus avancées au monde, et ils ont eux aussi testé, notamment pendant la guerre froide, divers systèmes d’armes antisatellites, comme le laser Miracl ou ce fameux tir contre un satellite présenté comme étant en perdition.

Rien d’étonnant : une directive présidentielle prise en 1996 par l’administration Clinton a statué que le pays va poursuivre le développement de capacités de contrôle spatial pour garantir la liberté d’action dans l’espace et pour s’assurer que des ennemis ne puissent empêcher leur propre utilisation de l’espace, si besoin en contrant les systèmes et services spatiaux utilisés à des fins hostiles.

De toute évidence, Moscou et Pékin entendent eux aussi appliquer une doctrine du même ordre.

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