Jean Zay entre au Panthéon. Né en 1904 et mort assassiné par la Milice en 1944, cet ancien ministre de l’Education nationale et des Beaux-Arts n’aura pas eu le temps de défendre son projet de loi sur le droit d’auteur et le contrat d’édition de 1936, écarté par les priorités de la guerre mais aussi, comme le rappelaient Régine Dhoquois et Annie Prassoloff, « peut-on penser, sous l’effet d’une hostilité résolue de la majorité des éditeurs et d’une partie des milieux juridiques« .
Sans être révolutionnaire, le projet Jean Zay portait une idée forte en ce temps où les ministres pouvaient encore en avoir. « L’expression de « propriété littéraire et artistique », inexacte et impropre, s’est peu à peu introduite dans le vocabulaire des hommes de loi et dans le langage usuel« , expliquait-il à l’Assemblée nationale. Or, « l’auteur ne doit plus désormais être considéré comme un propriétaire, mais bien comme un travailleur, auquel la société reconnaît des modalités de rémunération exceptionnelles, en raison de la qualité spéciale des créations issues de son labeur« .
Dès lors, si l’on cesse de considérer que le droit d’auteur est un droit de propriété (idée revenue en force dans la seconde moitié du 20ème siècle et aujourd’hui regardée à tort comme une évidence), il n’y a pas de raison de transmettre cette propriété aux héritiers, comme on le ferait d’un bien.
UN DOMAINE PUBLIC PAYANT MAIS PRÉCOCE
Ainsi l’article 21 du projet de loi Jean Zay instituait ce qu’il reconnaissait lui-même être « une proposition hardie, tant l’idée de maintenir, au profit des héritiers de l’auteur, un droit absolument identique à celui dont jouissait l’auteur lui-même durant sa vie, c’est-à-dire un droit exclusif, a pris de la force depuis le milieu du dix-neuvième siècle« . Plutôt que de faire perdurer le droit d’auteur au delà de la mort, comme c’est aujourd’hui le cas au bénéfice exclusif des héritiers pendant 70 ans après le décès, Jean Zay proposait de ne laisser qu’une période de 10 ans post-portem de droits exclusifs aux héritiers, mais de garantir en échange une « redevance équitable » d’au moins 10 % aux héritiers dont les oeuvres seraient reproduites et commercialisées après la mort. Ce droit à la rémunération serait maintenu au moins 50 ans, et jusqu’à la mort du dernier des petits enfants — ce que des ayants droit réclament aujourd’hui, mais de façon éternelle avec l’idée du domaine public payant.
Jean Zay avait été jusqu’à annexer à son projet de loi la « Lettre sur la propriété artistique et littéraire » d’Alfred de Vigny (dont hélas nous n’avons pas trouvé copie même sur Gallica), qui selon le ministre, « exigeait, dès la mort de l’auteur, « un partage entre la famille et la nation » et réglait ce partage sur des bases équitables« .
« Qui, de nos jours, accepterait qu’un descendant d’Ernest Renan ou d’Anatole France, devenu, par hypothèse, hostile aux idées qui inspirèrent ces maîtres, pût, par sa seule volonté, s’opposer, jusqu’en 1946 pour le premier et jusqu’en 1974 pour le second, à toute édition populaire et à bon marché de leurs plus belles pages, par le seul motif qu’une édition de ce genre ne correspondrait point à ses goûts et cela, même si une redevance équitable lui était assurée sur le prix de chaque exemplaire ?« , demandait-il en 1936. Loin de se douter que près d’un siècle plus tard, la situation serait pire encore.
QUAND CULTURE ET ÉDUCATION ÉTAIENT ENCORE SYNONYMES
C’était aussi une époque, avant guerre, où le gouvernement n’avait pas encore mis l’éducation d’un côté, et la « culture » de l’autre. Tout était mélangé et l’on considérait que l’éducation participait de la culture, et réciproquement. Il était donc normal qu’un ministre de l’éducation nationale chercha à développer la culture en libérant autant que possible le domaine public, sans sacrifier la rémunération due à l’auteur et à ses héritiers directs.
La bataille de pouvoir entre gaullistes et communistes, remportée par les premiers, a ensuite tout changé au sortir de la guerre, et la France fut le premier pays après l’Allemagne nazie à créer un « ministère de la culture ». Si le sujet vous intéresse, nous ne saurions trop vous conseiller (vraiment) de consacrer quelques heures de votre temps à écouter cette conférence à la fois très drôle et très sérieuse de Franck Lepage :
https://youtube.com/watch?v=9MCU7ALAq0Q
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