Depuis une dizaine de jours, des sites proposant des images dessinées de mangas mettant en scène des enfants dans des actes sexuels sont bloqués en France, sur décision du ministère de l'intérieur, sans contrôle judiciaire. Si leur censure est conforme à la loi, la question du bien-fondé de la loi se pose au regard des études disponibles sur les relations entre la disponibilité d'images virtuelles et la délinquance sexuelles.

Mise à jour : Centaurien nous indique que de réelles photos figureraient dans la base de données des sites bloqués. Il est donc fort probable que ce soit en raison de ces dernières, et non en raison des dessins (même si c'est juridiquement possible en France) que les sites ont été bloqués. Le sujet reste cependant débattu.

Lundi, nous rapportions que le ministère de l'intérieur avait annoncé le blocage de 36 sites internet depuis l'entrée en vigueur de la loi anti-terrorisme de 2014, et depuis celle du décret du 5 février 2015 qui organise le blocage des sites sur seul ordre du ministère de l'intérieur, sans contrôle judiciaire. Mais outre les sites qui font prétendument l'apologie du terrorisme ou qui incitent directement à commettre des actes de terrorisme, le décret mettait également en application la loi LOPPSI de 2011, qui permet le blocage de sites pédopornographiques dont la liste est établie par l'Office central de lutte contre la criminalité liée aux technologies de l'information et de la communication (OCLCTIC).

A l'époque, il avait été dit qu'une liste de plus de 1 000 sites était prête à être transmise aux FAI, sans que le caractère illicite des sites en cause ne soit vérifiée par un juge. Le Conseil constitutionnel avait validé le principe de cette censure administrative au regard de "l'objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l'ordre public". On ne sait s'il y a effectivement déjà plus d'un millier de sites internet bloqués en raison de la diffusion d'images pédophiles, ce qui appelle difficilement la contestation, mais l'on sait désormais que l'OCLCTIC censure également les sites qui diffusent de la pornographie virtuelle, sous forme de mangas trashs représentant des enfants.

Plusieurs sites de diffusion de mangas "hentai" (le terme japonais pour "perversion") sont bloqués en France depuis une dizaine de jours, sans explications précises. "VOUS AVEZ ÉTÉ REDIRIGÉ VERS CETTE PAGE DU SITE DU MINISTÈRE DE L'INTÉRIEUR CAR VOUS AVEZ TENTÉ DE VOUS CONNECTER À UN SITE COMPORTANT DES IMAGES DE PORNOGRAPHIE ENFANTINE", se contente de dire en majuscules rouge le ministère, aux visiteurs de certains sites d'images hentai comme Xbooru.com ou Chan.sankakucomplex.com.

DES DESSINS INTERDITS PAR LA LOI

Il est possible, et même probable, que les sites en question hébergeaient des dessins représentant des enfants particulièrement jeunes. "Le Toddlerkon (toddler signifiant « un tout-petit enfant » en anglais) ou beb?kon (??????????, beb? konpurekkusu, pour Baby complex) est un genre de lolicon qui implique des fillettes encore plus jeunes (moins de 6 ans) que celles des lolicons typiques. […] Le Shotacon met lui en scène des enfants et préadolescents de sexe masculin", explique Wikipedia.

Du point de vue purement juridique — et contrairement au blocage de sites d'apologie du terrorisme qui relève d'une interprétation très souvent subjective, le blocage en France des sites qui diffusent des "toddlerkons", "bébikons" ou autres "shotacons" ne pose plus aucune difficulté. La loi permet en effet de faire bloquer toute "image ou représentation d'un mineur lorsque cette image ou cette représentation présente un caractère pornographique", ce qui couvre aussi bien les photos et vidéos réalisées en mettant en scène de véritables enfants violés faits de chair, d'os et de larmes, que les dessins et autres représentations virtuelles en 3D.

Comme l'a confirmé la cour de cassation en 2007, c'est le fait même de diffuser (ou même de dessiner chez soi) l'image d'un mineur à travers une mise en scène pornographique qui est sanctionnée, peu importe qu'il s'agisse de la représentation d'un fantasme pervers qui n'a donné lieu à aucune forme d'agression dans la vie réelle.

UNE CENSURE CONTRE-PRODUCTIVE ?

Or c'est bien là que le débat sur l'opportunité du blocage des hentai lolicon doit se poser. Le fait de voir de simples dessins d'enfants pratiquant des actes sexuels conduit-il par le phénomène de l'habitude et de la lassitude à rechercher plus tard des images d'enfants réels, voire à passer à l'acte soi-même ? Ou au contraire, le fait d'avoir accès à des représentations virtuelles est-il une satisfaction suffisante pour ceux qui pourraient avoir des fantasmes les conduisant, en l'absence de ces substituts, à des actes irréparables ?

La question que nous posions à ce sujet en 2010, après discussion avec un pédophile assumé (qui ne passait pas à l'acte mais avouait considérer les mangas hentai comme un "exutoire aux pulsions"), reste d'actualité. Il semble qu'hélas le sujet est très peu étudié par les universitaires.

En 2009, un article fut publié dans l'International Journal of Law and Psychiatry (.pdf), concernant les liens entre l'abondance de pornographie et les crimes sexuels. Elle concluait que contrairement aux idées reçues, "les données rapportées et étudiées suggèrent que la thèse [d'un lien de cause à effet] est un mythe" et même qu'il y a "une relation de causalité inverse entre la croissance de la pornographie et les crimes sexuels". Mais l'étude ne portait pas spécifiquement sur la question de la pornographie infantile, et même ne l'abordait pas. En 2011, une autre étude dédiée spécifiquement au lolicon au Japon avait conclu qu'il n'y a "aucune preuve" pour soutenir que les mangas pornos mettant en scène des enfants imaginaires conduisait à une croissance de la criminalité sexuelle au Japon.

Le pays a adopté ces dernières années des législations qui rejoignent les lois occidentales contre la pornographie infantile, y compris contre les dessins. Pourtant en 1992, une étude (.pdf) avait découvert un lien bénéfique entre la disponibilité du lolicon au Japon, et la baisse de la criminalité sexuelle. "Notre hypotèse était que l'augmentation de la pornographie, sans restrictions d'âge et dans les bandes dessinées, si elle avait le moindre effet négatif, influencerait le plus négativement les individus les plus jeunes. C'est l'exact contraire qui s'est produit.", expliquaient les auteurs. "Le nombre de délinquants sexuels juvéniles a énormément diminué à chaque période étudiée pour passer de 1 803 aggresseurs en 1972 à 264 en 1995 ; une diminution d'environ 85%. Le nombre de victimes diminue également particulièrement chez les jeunes de moins de treize ans. En 1972, 8,3% des victimes avaient moins de 13 ans. En 1995 le pourcentage des victimes de moins de 13 ans était descendu à 4,0%".

Alors, faut-il tout de même bloquer les mangas pornos mettant en scène des enfants dessinés depuis l'imagination du dessinateur ? Le débat est ouvert.

Découvrez les bonus

+ rapide, + pratique, + exclusif

Zéro publicité, fonctions avancées de lecture, articles résumés par l'I.A, contenus exclusifs et plus encore.

Découvrez les nombreux avantages de Numerama+.

S'abonner à Numerama+

Vous avez lu 0 articles sur Numerama ce mois-ci

Il y a une bonne raison de ne pas s'abonner à

Tout le monde n'a pas les moyens de payer pour l'information.
C'est pourquoi nous maintenons notre journalisme ouvert à tous.

Mais si vous le pouvez,
voici trois bonnes raisons de soutenir notre travail :

  • 1 Numerama+ contribue à offrir une expérience gratuite à tous les lecteurs de Numerama.
  • 2 Vous profiterez d'une lecture sans publicité, de nombreuses fonctions avancées de lecture et des contenus exclusifs.
  • 3 Aider Numerama dans sa mission : comprendre le présent pour anticiper l'avenir.

Si vous croyez en un web gratuit et à une information de qualité accessible au plus grand nombre, rejoignez Numerama+.

S'abonner à Numerama+

Abonnez-vous à Numerama sur Google News pour ne manquer aucune info !