L'idée était déjà présente dans le rapport sur la neutralité des plateformes remis il y a un an à Axelle Lemaire par le Conseil National du Numérique (CNNum), et elle figurera en bonne place dans le rapport de synthèse que le CNNum remettra le 18 juin prochain à Manuel Valls. Parmi les 70 recommandations dégagées par le Conseil suite à la concertation publique organisée pour préparer la grande loi sur le numérique, le CNNum recommandera au gouvernement de mettre en place une agence de notation des plateformes numériques, pour tenter de réguler par le droit souple ce que le droit dur (la loi) aurait du mal à réguler par la voie législative — faute surtout de courage et d'indépendance politique.
Il s'agirait d'être "capables de dire si tel moteur de recherche a glissé un placement de produit au milieu du référencement naturel ou de voir en quoi l'instabilité d'une API est problématique pour un écosystème", explique le président du CNNum Benoît Thieulin, dans une interview au Journal du Net. "Plutôt que de demander à Google de nous révéler les fondations de son algorithme, ce qui n'arrivera jamais tant on tombe dans le secret industriel, on pourrait s'appuyer sur des analystes qui, en s'appuyant sur le retro-engineering, seraient en mesure de constater d'éventuelles dérives du moteur de recherche".
Sur le même modèle que les agences de notation bancaires, qui déconseillent aux banques de faire confiance à tel emprunteur en raison de tels ou tels risques, l'agence de notation des plateformes du numérique attribuerait une note de confiance aux plateformes qui sont susceptibles d'accueillir des applications, des marchands, ou des contenus divers et variés. "Il ne faut vraiment pas minorer l'influence de la réputation et les conséquences que pourraient avoir la sortie d'une note d'agence déconseillant aux start-up d'appuyer leur business model sur l'API d'un Twitter, car celle-ci serait jugé trop instable, par exemple", assure Benoît Thieulin.
ACTER L'IMPUISSANCE DES POUVOIRS PUBLICS ?
A l'heure où la Commission européenne s'empare enfin à bras le corps de l'abus de position dominante de Google et pourrait lui infliger une amende record, voire (beaucoup plus improbable) le condamner à la scission, l'idée d'une simple agence de notation apparaît toutefois naïve et peu convaincante dans ses effets réels. Combien d'internautes, parfaitement conscients des pratiques abusives d'un Google ou d'un Amazon, acceptent de passer sur DuckDuckGo ou d'acheter chez une boutique en ligne plus chère mais plus rémunératrice plus le marchand ? Aucun internaute n'ira voir la notation d'un Google, d'un Amazon, d'un Facebook ou d'un Twitter, et les marchands et développeurs iront là où les internautes sont. Là où le marché se fait. Si le marché n'est pas régulé, aucune notation n'y changera quoi que ce soit.
Par ailleurs l'idée de la notation n'est finalement qu'une anecdote, qui entre dans une réflexion beaucoup plus globale de "loyauté des plateformes". L'expression mise en avant depuis quelques maigres années vise à désigner non pas seulement la régulation économique des plateformes, mais à remettre en cause le statut protecteur d'hébergeur pour les services en ligne dont l'activité consiste principalement à héberger et mettre en ligne les contenus des tiers. Par la création d'un statut intermédiaire entre l'hébergeur et l'éditeur, il s'agit en creux d'inciter les plateformes à l'auto-régulation, donc à l'auto-censure. C'est là le plus grand danger de la loi numérique préparée par Axelle Lemaire. Nous verrons le 18 juin si l'idée est soutenue par le Conseil national du numérique.
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