Sans attendre que l'Assemblée nationale ne valide définitivement l'adoption du texte par le parlement, la Quadrature du Net a publié mardi un projet de recours de 120 pages qu'elle déposera dans les prochains jours au Conseil constitutionnel pour demander la censure du projet de loi sur le renseignement, en vertu de la procédure de l'amicus curiae. Comme c'est de tradition, il est réalisé et déposé en lien avec la fédération French Data Network (FFDN) et le FAI associatif French Data Network (FDN).
"On souhaite transmettre le document le plus vite possible au Conseil, pour lui laisser le temps d'en prendre connaissance", explique Benjamin Bayart, porte-parole et fondateur de FFDN.
De façon très méthodique, précise et détaillée sur le plan du droit, et n'hésitant pas à se faire parfois didactique sur des points techniques essentiels à comprendre par des juristes qui ne sont pas experts en matière informatique, l'association demande au Conseil de constater que le projet de loi Renseignement ne respecte pas des principes consacrés par la constitution ou la jurisprudence.
"Le législateur et le gouvernement ont cependant échoué à assurer une conciliation juste et proportionnée entre la poursuite des objectifs affichés et le respect des droits et libertés protégés par la Constitution, et en particulier le droit à la vie privée et la liberté de communication", résument les auteurs du document, qui parfois mettent aussi l'Etat face à ses contradictions (par exemple au sujet du chiffrement conseillé par l'ANSSI mais considéré comme "attitude de clandestinité" devant justifier une surveillance accrue).
A travers l'amicus curiae, il est d'abord reproché au projet de loi de manquer de clarté, et donc de prévisibilité, dans la délimitation des nombreuses finalités pour lesquelles les services de renseignement peuvent collecter des informations ; ou de manquer de clarté dans le type d'informations effectivement collectées. Par ailleurs, la Quadrature du net et FFDN demandent aux sages de constater la disproportion des armes accordées aux services de renseignement, par rapport aux buts fixés, alors que la proportionnalité est un principe fondamental de toute restriction à la protection de la vie privée.
Enfin, et longuement, le recours s'attarde sur la nécessité d'instaurer le juge judiciaire comme contrôle systématique de la proportionnalité des atteintes à la vie privée, alors que la loi crée une autorité administrative ad hoc, la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR), dépourvue de pouvoirs juridictionnels.
OPÉRER UN REVIREMENT DE JURISPRUDENCE
A travers ce mémoire, la Quadrature et FFDN invitent aussi le Conseil constitutionnel à opérer une évolution de sa jurisprudence en suivant l'avis de la Cour de justice de l'Union européenne (dans son arrêt Digital Rights Ireland) au sujet de la conservation des données de connexion, pour reconnaître enfin que les métadonnées doivent être considérées comme des données au moins aussi précieuses que le contenu lui-même, au regard de la vie privée. Leur collecte n'a pas à être moins bien encadrée que la lecture des correspondances.
En 2006, le Conseil avait validé la loi sur l'accès administratif aux données de connexion en jugeant qu'elle se "born(ait) à instaurer une procédure de réquisition des données techniques", comme si c'était moins grave que l'accès aux contenus. Or le volume des données concernées aujourd'hui par l'utilisation des services mobiles, et l'arrêt de la CJUE, invitent le Conseil à dépasser cette vision. Le mémoire prévient le Conseil que "sa décision de 2006 sur l'accès aux métadonnées reflète une réalité technique largement dépassée", et l'invite donc à "ré-évaluer à la lumière des évolutions dans l'utilisation des outils de communication électronique".
"La collecte des métadonnées doit être considérée au même titre que l’interception des communications téléphoniques ou Internet, et être entourée des mêmes garanties légales et des mêmes procédures, représentant une ingérence de la même ampleur dans la vie privée des citoyens", demande la Quadrature.
Juridiquement, rien n'oblige le Conseil constitutionnel à répondre à un amicus curiae et à traiter ses arguments un à un. Mais le fait de rendre le document public si tôt obligera médiatiquement les sages à en tenir compte dans l'examen des recours formels déposés par le président de la République et les parlementaires.
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