Neutralité du net, fausses informations, données personnelles, publicités politiques… les sujets qui préoccupent Tim Berners-Lee ne manquent malheureusement pas. Depuis plusieurs années, l’inventeur du world wide web ne cesse de tirer la sonnette d’alarme sur un certain nombre de dérives qui nuisent au réseau et, in fine, finissent par affecter les internautes eux-mêmes.
Dernière intervention en date du Britannique de 62 ans, une lettre ouverte publiée le 12 mars à l’occasion du vingt-neuvième anniversaire du web. Dans celle-ci, titrée « le web est menacé. Joignez-vous à nous et battez-vous pour elle », l’informaticien de renom concentré son flot de critiques à l’encontre des grandes plateformes du net, en prenant toutefois garde de ne pas donner leur nom.
Mais entre les lignes, on devine bien à quelles entreprises Tim Berners-Lee fait référence : elles s’appellent Google, Facebook, Amazon.
« Le web auquel beaucoup de gens se connectaient il y a plusieurs années n’est pas celui que les nouveaux internautes trouveront aujourd’hui. Ce qui était autrefois une riche sélection de blogs et de sites web a été compressé sous le poids puissant de quelques plateformes dominantes », observe Tim Berners-Lee, pointant du doigt la concentration à l’œuvre depuis de nombreuses années sur le net.
« Cette concentration du pouvoir crée un nouvel ensemble de gardiens, qui permet à une poignée de plateformes de contrôler quelles idées et opinions sont vues et partagées » sur la toile. Le Britannique n’est pas le seul à dénoncer cette trajectoire : le développeur brésilien André Medeiros a ainsi prophétisé la mort d’Internet au profit d’un « trinet », où tout passerait par Google, Facebook et Amazon.
« Le web auquel beaucoup de gens se connectaient il y a plusieurs années n’est pas celui que les nouveaux internautes trouveront aujourd’hui »
« Ces plateformes dominantes sont capables de préserver leur position en créant des barrières pour leurs concurrents. Elles acquièrent des startups qui pourraient les menacer, achètent de nouvelles innovations et recrutent les meilleurs talents de l’industrie. Ajoutez à cela l’avantage concurrentiel que les données d’utilisateurs leur confèrent et nous pouvons nous attendre à ce que les 20 prochaines années soient beaucoup moins innovantes que la précédente », poursuit Tim Berners-Lee.
L’avertissement de l’inventeur du web n’est pas le premier qu’il émet sur le problème d’une concentration déraisonnable sur la toile. En 2016, dans une tribune publiée par le New York Times, il se plaignait du pouvoir qu’ont pris sur le net les États et les grandes entreprises comme Google ou Facebook. Il plaidait alors en faveur d’un web plus déconcentré et plus sûr pour ses utilisateurs.
« De plus, la concentration du pouvoir dans les mains si peu d’entreprises a permis de faire du web une arme à grande échelle. Ces dernières années, nous avons vu des théories du complot sur les plateformes de réseaux sociaux, de faux comptes Twitter et Facebook attiser les tensions sociales, des acteurs externes s’immiscer dans les élections et des criminels voler des tonnes de données personnelles », poursuit-il.
Pour Tim Berners-Lee il ne s’agit pas de dire que ces grandes sociétés se satisfont de certains effets induis par leur domination, ni qu’elles les ignorent. Au contraire, selon lui, les compagnies en question sont lucides et conscientes des problèmes actuels et elles cherchent des solutions pour les résoudre. Mais le souci, c’est que la moindre mise à jour de leur service peut avoir des effets globaux.
Cela étant, cette situation relève de leur responsabilité, estime l’inventeur du web : ce sont elles qui se sont organisées « pour maximiser leur profit plutôt que le bien de la société ». Reste que la situation est suffisamment critique pour qu’il soit nécessaire d’y mêler le politique : « un cadre juridique ou réglementaire tenant compte des objectifs sociaux peut contribuer à atténuer ces tensions », suggère Tim Berners-Lee.
Des sociétés qui maximisent leur profit et oublie le bien commun
Il reste à déterminer quel impact la lettre ouverte de Tim Berners-Lee aura car les mises en garde de l’informaticien, diffusées à longueur de tribunes pour sensibiliser le public, les pouvoirs publics et les entreprises, n’ont pas toujours l’effet escompté. On se souvient de son plaidoyer pour la neutralité du net, mais cela n’a pas empêché le régulateur des télécoms américain de s’en passer.
« L’avenir du web ne concerne pas seulement ceux d’entre nous qui sont en ligne aujourd’hui, mais aussi ceux qui doivent encore se connecter », prévient-il. Pour se sortir de cette situation inextricable, peut-être faut-il imaginer « des normes fortes permettant de trouver un équilibre entre les intérêts des entreprises et ceux des citoyens connectés ».
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