Europol, l'agence européenne chargée de faciliter la coordination entre les différentes polices de l'Union européenne et de mener des enquêtes en matière de criminalité transfrontières, a annoncé la semaine dernière le lancement de la European Union Internet Referral Unit (EU IRU), dont il faut comprendre toute la symbolique et l'importance sur le plan (anti)démocratique.
Présentée comme une initiative visant à "combattre la propagande terroriste et les activités extrémistes violentes liées sur internet", l'unité de police européenne est avant tout un instrument de contre-propagande qui doit permettre aux gouvernements d'obtenir sur internet la censure de contenus que les législations ou juges nationaux ne considèrent pas (ou pas toujours) comme illicites au regard des lois adoptées par les représentants élus. L'unité d'Europol signalera aux services en ligne des contenus qualifiés "de propagande terroriste" ou "d'extrémisme violent" qu'ils hébergent ou auxquels ils donnent accès, pour obtenir qu'ils les suppriment aussitôt, sans passer par un processus judiciaire ou administratif public et contradictoire.
La création de l'EU IRU avait été proposée en début d'année par le coordinateur de l'Union européenne pour la lutte contre le terrorisme, Gilles de Kerchove, qui suggérait de généraliser à toute l'Europe le principe de la Counter Terrorism Internet Referral Unit (CTIRU), créée par la police de Grande-Bretagne. Dans un document confidentiel (.pdf), de Kerchove écrivait en toutes lettres qu'il fallait "soumettre [aux réseaux sociaux] les contenus terroristes ou extrémistes qui violent les propres termes et conditions des plateformes (et pas nécessairement la législation nationale)".
L'idée de créer l'European Union Internet Referral Unit part du constat simple que l'efficacité de la loi en matière de censure étatique est bridée par les principes de liberté d'expression sur lesquels veille la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH). Mais que par ailleurs, les internautes n'utilisent plus de réseaux P2P et n'hébergent plus leurs propres contenus lorsqu'ils s'expriment, mais passent quasi exclusivement par des plateformes privées (YouTube, Facebook, Twitter, Google+, Overblog,…) qui imposent des contrats privés, lesquels peuvent être plus restrictifs que la loi en matière de liberté d'expression. Il est donc bien plus efficace et discret en 2015 de faire exercer cette censure par les acteurs privés, grâce à des pressions à des accords bons pour leur image publique, que d'opérer cette censure par des ordres administratifs dont la légalité est parfois très douteuse et sujette à des condamnations par la CEDH.
"DES RELATIONS DE CONFIANCE AVEC LE SECTEUR PRIVÉ"
C'est dans ce sens que le ministre de l'intérieur Bernard Cazeneuve a obtenu en avril dernier l'accord de principe de Google, Facebook, Apple et Twitter de mettre en place "une plateforme de bonnes pratiques dans la lutte contre la propagande terroriste sur le Net", qui doit faciliter la fermeture de comptes ou la suppression de contenus. "Les terroristes n'ont pas leur place sur Facebook", avait ensuite déclaré le réseau social pour marquer son approbation de la démarche, même si qualifier le "terrorisme" est souvent plus politique que pénal, et qu'il paraît douteux voire dangereux pour la démocratie de laisser des entreprises privées et l'exécutif décider souverainement de ce qui est de la propagande terroriste et ce qui ne l'est pas.
Selon le communiqué d'Europol, l'EU IRU "puisera dans les relations de confiance qui existent entre les autorités de police [et] le secteur privé", et "identifiera et fera suivre les contenus en ligne pertinents aux fournisseurs de services internet concernés, et aidera les États membres avec des analyses opérationnelles et stratégiques".
"Les récentes attaques terroristes en France, Tunisie et au Koweït ont démontré une nouvelle fois combien il est important de combattre les menaces terroristes avec détermination", s'est félicité Dimitris Avramopoulos, le commissaire européen à l'immigration, aux affaires intérieures et à la citoyenneté. L'Unité d'Europol "fournira aux États membres un appui opérationnel sur la manière de réaliser plus efficacement la détection et la suppression d'un volume croissant de contenus terroristes sur internet et sur les médias sociaux".
Suite à la décapitation terroriste d'un chef d'entreprise dans l'Isère, le premier ministre français Manuel Valls avait rapidement fait savoir que c'était "d'abord sur internet" qu'il fallait lutter contre le terrorisme, tout en précisant qu'aucune loi supplémentaire ne serait nécessaire. Car désormais, la censure se fait plus discrète, par le droit souple, qui n'a rien de démocratique.
Avantage supplémentaire : la censure de gré à gré, négociée entre états et acteurs privés, n'apparaît pas dans les rapports. Ni les rapports officiels des pays qui doivent rendre compte de leur politique en matière de respect de la liberté d'expression, ni les prétendus "rapports de transparence" des entreprises privées, qui se contentent de signaler les demandes officielles émanant des Etats.
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