Alors que se tenait mercredi au Sénat l’audition de la présidente de la Hadopi dans le cadre d’une commission d’enquête sur les autorités administratives indépendantes, deux sénateurs, Corinne Bouchoux (EELV) et Loic Hervé (UDI), ont présenté ce jeudi un rapport d’information sur le devenir de l’institution, avec le désir affiché de recadrer et renforcer ses prérogatives. Pour lutter bien plus durement contre le piratage, faute de succès de la riposte graduée.
12 propositions émergent du rapport. On y trouve pêle-mêle le souhait de créer une injonction de retrait prolongé des contenus piratés (le fameux « notice and stay down » cher au rapport MIQ), de former les professeurs en vue de sensibiliser les élèves, de limiter au domaine public la promotion de l’offre légale effectuée par la Haute Autorité ou encore, sujet très sensible s’il en est, de revoir en profondeur le statut des hébergeurs en Europe pour les obliger à filtrer — ce que le Conseil national du numérique refuse.
Mais le rapport d’information a surtout remis au goût du jour la piste de l’amende administrative, qui toucherait directement au portefeuille de ceux dont l’accès à internet est utilisé pour pirater sur des réseaux P2P. Première proposition du rapport, elle consiste à remplacer la sanction judiciaire actuellement prévue mais très rarement appliquée, par une sanction ordonnée par une commission de l’Hadopi.
« UNE CENTAINE D’EUROS »
Le rapport le reconnaît volontiers : la proposition est directement issue du cahier de doléances des ayants droits. Lors de leurs auditions, Florence Gastaud (déléguée générale de l’ARP), Nicolas Seydoux, (président de l’ALPA), Pascal Nègre (membre du SNEP) et Pascal Rogard (directeur général de la SACD) ont tous plaidé pour une telle peine, dont ils avaient déjà suggéré le montant en 2013 : 140 euros.
Les sénateurs n’ont pas explicitement confirmé le montant mais en évoquant un ordre de grandeur d’ « une centaine d’euros« , le calque sur les désirs des ayants droits semble parfait. La somme est jugée par eux « raisonnable« , même si elle reste bien plus élevée que ce qui fut préconisé dans le rapport Lescure (60 euros).
CONTOURNER L’AUTORITÉ JUDICIAIRE SURCHARGÉE
« Plusieurs vertus de l’amende [administrative] ont été évoquées : la crédibilité de la sanction, l’effet dissuasif sur les contrevenants, l’allègement du traitement des dossiers et le désencombrement des tribunaux« , résument les sénateurs. À l’inverse, le recours à la justice judiciaire en bout de parcours de la riposte graduée constitue un « goulot d’étranglement » qui limite drastiquement le nombre des procédures pénales traitées par les parquets.
Alors que les ayants droit ont procédé au total à 37 millions de saisines de l’Hadopi, les transmissions aux procureurs de la République se chiffrent en bout de course à quelques centaines, tandis que que décisions de justice sont dix fois moins nombreuses. Avec l’amende administrative, c’est une Hadopi gonflée aux hormones que veulent instituer les ayants droits et les sénateurs.
ASTUCE POUR ÉVITER L’INCONSTITUTIONNALITÉ
Du fait des exigences constitutionnelles qui interdisent à une même institution d’avoir à la fois des fonctions de poursuite et d’instruction et celles de jugement, le rapport d’information suggère de créer au sein de l’Hadopi un nouvel organe baptisé « commission des sanctions », qui jugerait les dossiers que l’actuelle Commission de protection des droits (CPD) lui transmettrait.
Comme la CPD, cette commission des sanctions serait composée de trois magistrats nommés pour trois ans : un sera issu du monde administratif (Conseil d’Etat) et les deux autres du domaine judiciaire (Cour de cassation). Officiellement, une procédure contradictoire est déclenchée à ce moment-là, avec à la clé une éventuelle amende. Le système est présenté comme moins automatique, mais ce n’est pas du tout certain. La présence des magistrats au sein de la CPD ne l’empêche absolument d’avoir largement automatisé la riposte graduée jusqu’à l’étape ultime, et ne l’empêchera pas de quasi-automatiser l’envoi des annonces.
UN RAPPORT POUR LA FORME ?
Rappelons que la loi prévoit déjà une amende de 1500 euros que peut infliger le tribunal en cas de « négligence caractérisée », c’est-à-dire si une série de critères sont réunis, notamment le « manque de diligence » dans la mise en place (ou l’absence totale) d’un moyen de sécurisation. La difficulté de la commission de protection des droits à constituer des dossiers qui démontrent au parquet l’infraction de négligence caractérisée, alors que le ministère de la Justice invite à ne pas enquêter davantage, explique en partie le très faible nombre de sanctions prononcées.
En passant par un système d’amendes infligées directement par l’Hadopi, l’autorité s’autoriserait un laxisme bien plus grand dans le traitement des dossiers. C’est en tout cas un risque important. Certes, il sera toujours possible de contester l’amende infligée au prix d’une procédure devant le tribunal administratif, mais peu le feront.
Reste à voir si les pistes du rapport seront réellement suivies d’effet, ce dont il est permis de douter alors que le ministère de la Culture a soigneusement évité le sujet Hadopi dans sa future loi Création. L’autorité administrative créée à la demande de Nicolas Sarkozy reste un sujet tabou chez les parlementaires de gauche comme de droite, et il est très peu probable que le gouvernement de Manuel Valls prenne le risque de remettre le sujet sur le le tapis à quelques mois de la prochaine campagne électorale. 2017 se rapproche, et il n’y a guère d’avantage électoral à créer un nouveau système d’amende qui toucherait des millions d’électeurs.
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