Comment savoir si l'annonce d'un projet d'attentat déjoué et la mise en examen de ses co-auteurs présumés répond à une véritable stratégie policière et judiciaire cohérente, ou s'il s'agit plus cyniquement de l'orchestration médiatique d'un projet de pieds nickelés, à des fins purement politiques ?
Etant donné qu'il se trouve réellement des hommes pour trancher la tête d'autres hommes en France, nous avions choisi de nous astreindre à un silence respectueux concernant le nouveau projet d'attentat déjoué par les services du renseignement français, qui pouvait correspondre à une réelle menace. Pas question de prêter le flanc à ceux qui accusent rapidement les opposants au projet de loi Renseignement de donner constamment dans l'interprétation paranoïaque des faits, même si le calendrier des arrestations médiatisées semblait particulièrement opportun, au moment où le Conseil constitutionnel rédige la décision qu'il rendra dans les prochains jours sur le projet de loi renforçant les pouvoirs des services de renseignement.
Certes, pensions-nous, il y a parfois des coïncidences dans le calendrier.
Comme ce projet d'attentat au musée du Louvre (par quelqu'un qui était en prison) révélé par le Parisien le 9 juillet 2014, le jour-même où le Gouvernement présentait en conseil des ministres le projet de loi de lutte contre le terrorisme.
Comme cette arrestation médiatisée d'un recruteur de djihadistes le 11 septembre 2014, alors que l'Assemblée débutait l'examen du texte le 15 septembre.
Comme cette note secrète de la DGSI concernant des attentats déjoués, qui fuite le 3 novembre 2014 alors que le 4 novembre, le Sénat devait adopter définitivement une loi anti-terrorisme.
Comme cette conférence de presse organisée par Bernard Cazeneuve le 22 avril 2015 pour annoncer des projets d'attentats déjoués par les services de renseignement, quinze jours avant le vote du projet de loi Renseignement à l'Assemblée nationale.
Comme ces attentats déjoués à Villejuif, annoncés le 8 juin 2015, la veille du vote du projet de loi Renseignement au Sénat.
Mais ce ne sont que des coïncidences.
Et même si Bernard Cazeneuve avait expliqué sur RTL qu'il ne fallait pas parler des projets d'attentats déjoués par ce qu'il "n'est pas nécessaire de parler de ce qui se fait et qui est de nature à protéger les Français", il a depuis justifié un changement de politique de communication. "Lorsqu'il y a des faits graves, il est du rôle du gouvernement d'en informer les Français. On ne peut pas cacher la vérité aux Français, c'est ce que souhaite le gouvernement, c'est ce que souhaitent le président de la République et le Premier ministre et nous le faisons, ce travail d'information, en très étroite relation avec l'autorité judiciaire et notamment le parquet", a ainsi expliqué cette semaine le ministre de l'intérieur. Dont acte.
Ce n'est donc pas du tout pour faire pression sur un Conseil constitutionnel submergé d'argumentaires de censure de la loi sur le Renseignement que le gouvernement a permis que soit communiqué des informations sur le projet d'attentat déjoué, qui devait viser une base militaire de Fort Béar. Et que ce soit communiqué, notamment, le fait qu'ils utilisaient abondamment les réseaux sociaux et même des "forums chiffrés" pour communiquer ensemble avec des membres de l'Etat Islamique.
Ce n'est encore qu'une coïncidence.
Mais il y a tout de même un petit détail curieux qui nous a incité à sortir de la réserve que nous nous étions imposée. Une logique judiciaire et policière qui nous échappe. Si l'on en croit les déclarations du procureur de la République François Molins, l'attentat imaginé par des jeunes hommes de 16 à 23 ans qui étaient sous étroite surveillance aurait été prévu pour décembre 2015 ou janvier 2016. L'on croit comprendre que pour le moment aucun élément matériel de préparation de l'attentat n'a été mis au dossier. Il y a bien des paroles, beaucoup de paroles, des projets… mais rien de concret. Pas la moindre arme achetée, par exemple.
Or pour être constituée pénalement, l'infraction de préparation d'un acte de terrorisme prévue par le code pénal demande que soit notamment démontré "le fait de détenir, de rechercher, de se procurer ou de fabriquer des objets ou des substances de nature à créer un danger pour autrui". Dès lors, pourquoi les services de renseignement qui avaient déjà ces individus sous étroite surveillance, et qui savaient visiblement qu'il n'y avait pas de menace immédiate puisque l'attentat était prévu dans six mois, ont-ils décidé de passer à l'action maintenant et de le faire savoir, plutôt que d'attendre le moment où les armes nécessaires à l'attentat seraient effectivement obtenues ou activement recherchées ?
Vraiment, un petit quelque chose dont la logique nous échappe. Une idée ?
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