Dans le cadre d'une enquête formelle pour pratiques anticoncurrentielles, la Commission européenne a communiqué des griefs à Disney, NBC Universal, Paramount Pictures, Sony, 20th Century Fox et Warner Bros. Elle leur reproche d'imposer des clauses qui obligent les diffuseurs à mettre en oeuvre des filtrages géographiques, par exemple par adresses IP, pour empêcher un internaute d'accéder à leurs programmes depuis un autre pays.

La Commission européenne a annoncé jeudi avoir adressé une "communication des griefs" à l'opérateur Sky UK et à six majors d'Hollywood, pour avoir négocié entre eux des conditions contractuelles qui privent les consommateurs du droit d'accéder aux programmes de Sky UK ailleurs qu'au Royaume-Uni et en Irlande, contre les règles de libre circulation des biens et des services au sein de l'Union européenne. Les six studios concernés sont Disney, NBC Universal, Paramount Pictures, Sony, 20th Century Fox et Warner Bros.

"Sans ces restrictions, Sky UK pourrait décider librement, pour des raisons commerciales, de proposer ou non des services de télévision payante aux consommateurs souhaitant y avoir accès, conformément au cadre réglementaire, et notamment, pour ce qui est des services de télévision payante en ligne, de la législation nationale applicable en matière de droits d’auteur", explique la Commission.

Or, assure la très active commissaire européen Margrethe Vestager en charge de la concurrence, "les consommateurs européens veulent pouvoir regarder les chaînes de télévision payantes de leur choix quel que soit le lieu où ils résident ou voyagent dans l'UE". Pas question, par exemple, de regarder l'origine géographique d'une adresse IP pour interdire à un un internaute en France de regarder une vidéo proposée sur une plateforme britannique, italienne ou allemande. 

UN PRÉCÉDENT JUDICIAIRE

En 2011, la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) avait jugé que le fait d'accorder une exclusivité territoriale en Europe était illicite au regard du droit de l'Union. Sanctionnant de fait tout blocage géographique dans une affaire concernant la diffusion par satellite, la CJUE avait jugé que "les clauses d'un contrat de licence exclusive conclu entre un titulaire de droits de propriété intellectuelle et un organisme de radiodiffusion constituent une restriction à la concurrence interdite par l'article 101 TFUE dès lors qu'elles imposent l'obligation à ce dernier organisme de ne pas fournir de dispositifs de décodage permettant l'accès aux objets protégés de ce titulaire en vue de leur utilisation à l'extérieur du territoire couvert par ce contrat de licence".

La décision de la Commission européenne de passer à l'offensive s'inscrit donc dans la droite lignée de cette décision, et devrait être comprise comme un coup de semonce pour tous les diffuseurs et ayants droit concernés, à commencer par Canal+, YouTube ou Netflix.

FORCER LE MARCHÉ UNIQUE AUDIOVISUEL

Prudente, la Commission ne va pas cependant jusqu'à exiger explicitement l'ouverture totale du marché audiovisuel en Europe, qui autoriserait toutes les plateformes à faire la publicité active de leurs services dans tous les pays de l'Union. C'est là un sujet très sensible discuté actuellement dans le cadre d'une réforme de la stratégie sur le marché unique numérique.

Bruxelles se contente de dire qu'un consommateur européen doit pouvoir accéder, depuis n'importe où en Europe, aux services qui sont activement commercialisés chez lui ou dans un autre pays européen. L'effet revient sensiblement au même, mais la logique juridique fait une légère différence sur le plan des droits d'auteur.

Ces derniers permettent en effet, actuellement, d'interdire la commercialisation d'une oeuvre dans un pays non couvert par la licence d'exploitation, qui peut restreindre à une liste précise les pays de mise à disposition des oeuvres, y compris au sein de l'Union européenne. Mais la Commission estime que les "ventes passives", lorsque l'utilisateur connaît un service de VOD étranger et veut y accéder, ne sont concernées par les restrictions qui s'appliquent à la commercialisation dans son propre pays.

"DES ACCORDS ANTICONCURRENTIELS"

Pour la Commission, les clauses qui imposent la mise en oeuvre d'un blocage géographique croisé (du genre "Sky ne diffuse pas à l'étranger, mais en échange les diffuseurs étrangers bloqueront l'accès aux mêmes programmes depuis la Grande-Bretagne") constituent, "en l’absence de justification convaincante, une infraction grave aux règles de l’UE qui interdisent les accords anticoncurrentiels".

Il s'agit pour le moment de conclusions préliminaires, auxquelles les mis en cause pourront répondre. Une décision de sanction pourra être prise à l'issue de cette phase contradictoire, si la Commission maintient ses accusations. Mais le but est surtout d'obliger les ayants droit et les diffuseurs à accepter l'ouverture totale du marché des droits d'auteur en Europe.

"Parallèlement aux actions qu'elle mène en vertu du droit de la concurrence de l’UE, la Commission proposera de moderniser les règles de l'UE en matière de droits d’auteur et de procéder au réexamen de la directive de l'UE relative à la radiodiffusion par satellite et à la retransmission par câble dans le cadre de la stratégie pour le marché unique numérique qu'elle a adoptée en mai 2015. Elle entend ainsi réduire les disparités entre les régimes nationaux de droits d’auteur et permettre un accès plus large au contenu en ligne dans l’ensemble de l’UE", rappelle ainsi la Commission.

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