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Le droit international des droits de l’homme autorise les Etats à porter atteinte à la vie privée des citoyens, à condition toutefois que les atteintes visent un but légitime, qu’elles soient proportionnées à la finalité poursuivie, et qu’elles soient « prévues par la loi ». Cette dernière condition implique non seulement que l’ingérence dans la vie privée soit autorisée par une loi, mais aussi que cette loi soit « prévisible », c’est-à-dire que sa connaissance ne laisse aucun doute au citoyen sur le fait que dans un cadre précis, sa vie privée n’est pas garantie.
On pouvait douter que ce critère d’intelligibilité soit réuni par la loi Renseignement concernant les boîtes noires. L’article 851-3 créé par la loi autorise en effet que soit « imposé aux opérateurs (…) la mise en oeuvre sur leurs réseaux de traitements automatisés destinés, en fonction de paramètres précisés dans l’autorisation, à détecter des connexions susceptibles de révéler une menace terroriste« . La loi ajoute que les algorithmes « utilisent exclusivement les [données de connexion], sans recueillir d’autres données que celles qui répondent à leurs paramètres de conception et sans permettre l’identification des personnes auxquelles les informations ou documents se rapportent« .
Pour estimer que les boîtes noires sont proportionnées à la lutte contre le terrorisme, le Conseil retient notamment que les informations injectées dans les algorithmes de détection des suspects « ne peuvent en aucun cas porter sur le contenu des correspondances échangées ou des informations consultées, sous quelque forme que ce soit, dans le cadre de ces communications« . Que ce soit les données obtenues auprès des FAI ou des hébergeurs, « le législateur a suffisamment défini les données de connexion, qui ne peuvent porter sur le contenu de correspondances ou les informations consultées« .
Ce faisant, le Conseil ne fait que reprendre les limites déjà fixées par l’article l’article L.34-1 du code des postes et des communications électroniques (pour les FAI et opérateurs mobiles) et par l’article 6.II de la LCEN. Les algorithmes devront donc s’interdire d’exploiter le contenu des communications, et même « les informations consultées ».
C’est un point essentiel qui, sur le papier, tue dans l’oeuf les boîtes noires, même si c’était déjà des limitations inscrites dans la loi. Mais comme l’a montré le gouvernement dans un argumentaire ahurissant fourni au Conseil, l’objectif des services de renseignement est bel et bien de regarder qui regarde quoi sur internet :
Le gouvernement a expliqué très explicitement que lorsqu’une personne sera détectée par les algorithmes en raison de son activité en ligne, les services regarderont pourquoi la personne « consulte les sites dont la consultation est détectée par l’algorithme« . Il y a donc bien prévu l’utilisation des « informations consultées » par l’internaute, qui sont pourtant exclues par la loi, comme l’a rappelé le Conseil constitutionnel.
Et c’est normal, à défaut d’être légal. Sans utiliser les informations sur les informations consultées il devient impossible de réaliser un algorithme pertinent. Les boîtes noires n’ont plus aucun intérêt. Mais plutôt que de censurer le dispositif en écartant toute possibilité que l’Etat passe outre cette limitation drastique et viole la loi, les sages ont préféré valider les boîtes noires, sans apporter le moindre argument. Ils n’ont fait preuve d’aucune pédagogie pour expliquer leur décision, ni d’aucune volonté de prendre en compte la jurisprudence internationale ou européenne.
Le gouvernement a prévenu le Conseil qu’il comptait violer la loi, mais le Conseil a choisi de ne pas censurer et de lui laisser la possibilité de le faire.
Hélas, sauf à ce que la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR) joue pleinement son rôle et fasse blocage aux boîtes noires qui exploiteraient les sites ou vidéos regardées, et porte un contentieux devant le Conseil d’Etat si son avis n’est pas suivi, il sera impossible pour les citoyens de savoir si la loi est respectée.
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