Ce fut la surprise de l'été. Placé au pilori par les ayants droit depuis de nombreux mois, voire depuis plusieurs années, Eric Walter a été licencié de sa fonction de secrétaire général de la Haute autorité pour la diffusion des oeuvres et la protection des droits sur internet (HADOPI). Une décision que l'on avait pu anticiper quelques semaines plus tôt lorsque de façon toujours incompréhensible à ce jour, la présidente Marie-Françoise Marais a décidé de ne plus soutenir publiquement celui qu'elle avait décrit comme un "fonctionnaire exemplaire", mais qui gênait terriblement les ayants droit.
Extrêmement diplomate et volontaire avec les internautes hostiles à l'institution, au point d'accorder une très longue interview aux lecteurs de Numerama, Eric Walter s'était affirmé au fil des années comme un solide rempart contre le systématisme des critiques anti-Hadopi. Mais chaque médaille ayant son revers, aux yeux des lobbys culturels il avait le tort de ne plus croire dans la réussite de la riposte graduée (comment y croire alors que l'on va de record en record en nombre d'internautes avertis ?). Il avait surtout le tort de le faire savoir en lançant d'autres pistes telles qu'une légalisation des échanges non marchands, que l'on devine aujourd'hui totalement oubliée.
Même s'il a appuyé d'autres options que l'on sait d'avance totalement inefficaces comme le gel des recettes publicitaires ou des systèmes de paiement en ligne des sites de liens de téléchargement ou de streaming, Eric Walter s'était aussi depuis toujours opposé au blocage des sites internet, désormais de plus en plus courant.
HOUSE OF CARDS
Ces derniers mois, Walter n'était plus qu'une cible errante dans les couloirs de la rue du Texel, sur laquelle tirait ceux que les départs successifs des premiers compagnons de route avaient laissé comme seuls calculateurs de carrière, employant pour certains la traîtrise comme moteur. En interne se jouaient des scènes du House of Cards que l'Hadopi interdisait aux internautes de pirater.
Paradoxalement, alors que la suppression de l'Hadopi faisait partie des promesses de campagne de François Hollande (ce que nous n'avions jamais cru), c'est sous François Hollande qu'elle se renforce et qu'elle a désormais les roues libres pour continuer. Plus personne dans l'institution ne fera bloc aux critiques acerbes contre l'Hadopi mais peu importe, puisqu'il a été acté qu'il n'y a guère plus que les artistes et leurs producteurs à séduire et à rassurer. Une campagne électorale se profile.
Eric Walter, lui, tâtonne. Il vient de lancer un site à la mémoire de l'Orchestre Symphonique d'Europe qu'il avait co-créé, pour se rappeler au bon souvenir des artistes qui auraient oublié qu'il fut de leur côté. Ou pour se le rappeler à lui-même. La suite de sa carrière a l'apparence d'un immense point d'interrogation.
UN INTÉRIM QUI POURRAIT DURER
Homme aux multiples facettes, rare autodidacte dans un milieu d'énarques ou de diplômés de Sciences Po, il a commencé par importer du café et des bières du Guatemala avant d'entrer il y a 20 ans au gré de ses relations dans le cabinet de Philippe Douste-Blazy, alors ministre de la culture, et de se faire une spécialité d'internet pour lequel il deviendra conseiller de Nicolas Sarkozy pendant la campagne de 2007, en charge du programme numérique. Et si c'était lui qui, près de dix ans plus tard, élaborait une proposition de réformer l'Hadopi qui l'a licencié ? L'anecdote ferait sourire.
En attendant, Eric Walter a été officiellement remplacé par son ancienne acolyte Pauline Blassel, qui avait déjà occupé le poste pendant quelques semaines en 2013. Arrivée à l'Hadopi en 2012, elle est diplômée de l'Ecole Centrale, ingénieure d’affaire spécialisée en mathématiques et décision. Elle aussi est issue de l'écurie Sarkozy, qui l'avait intégré à la Présidence de la République en 2008. A l'Hadopi, Pauline Blassel avait dirigé le Département Recherche, Etudes et Veille (DREV) qui chapeautait les études liées à la légalisation des échanges non marchands, avant de devenir l'adjointe d'Eric Walter.
Pauline Blassel n'a pas dit un mot du départ précipité de son ancien patron, dont elle a pour le moment récupéré le fauteuil. "Madame Pauline Blassel, secrétaire générale adjointe, est chargée d'assurer l'intérim des fonctions de Secrétaire général pendant la période de vacance au poste de Secrétaire général et jusqu'à la nomination du prochain Secrétaire général", dit la décision (.pdf) signée le 1er septembre par Marie-Françoise Marais. Il se murmure cependant que l'intérim pourrait durer. House Of Cards, disions-nous.
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