Un rapport de la Commission des Nations Unies sur le Haut Débit s'alarme du harcèlement et d'autres formes de violences subies par les femmes sur internet, et demande aux acteurs privés d'agir plus fermement pour retirer les contenus qui peuvent décourager les femmes de participer au développement de la vie sociale et économique sur internet.

Internet est nécessaire au développement. Les femmes sont nécessaires au développement. Donc les femmes sont nécessaires sur Internet, et il faut dès lors lutter contre les violences sexistes qui les découragent d'y être actives. C'est en somme le sens du rapport remis jeudi par un groupe de travail spécialisé de la Commission des Nations Unies sur le Haut Débit, créée en 2010 pour favoriser l'adoption d'Internet dans le monde, dans le cadre du droit au développement, que d'aucuns analysent parfois comme un devoir de croissance.

Le groupe est composé d'une part d'organisations publiques comme l'Union Internationale des Télécommunications (UIT) qui fait partie du système de l'ONU, l'UNESCO ou encore l'ONU-Femmes, et d'autre part d'acteurs privés tels que Microsoft, Alcatel-Lucent, la GSMA, ou encore Cisco. Il s'appuie sur diverses études pour constater que 73 % des femmes auraient été confrontées à de la violence sur internet, et que les "femmes âgées de 18 ans à 24 ans sont les plus exposées aux violences en ligne de toutes sortes", qu'il s'agisse de harcèlement sexuel, d'humiliations publiques, ou de menaces physiques voire de passages à l'acte.

Or, "les menaces de viol ou de mort et la traque furtive représentent pour les femmes une source d'anxiété supplémentaire, accaparent du temps de l'argent (par exemple  frais de justice, services de protection en ligne), et entraînent un manque à gagner" (sic), analyse le groupe. "Une attitude laxiste et l'incapacité à trouver une solution à la cyberviolence envers les femmes et les jeunes filles pourraient nuire considérablement à l'adoption du [haut débit] par les femmes partout dans le monde".

"DES PROCÉDURES DE RETRAIT DE CONTENUS PLUS EFFICACES"

Le rapport appelle donc les états membres de l'ONU à prendre les mesures législatives pour assurer la protection des femmes, en ligne comme hors-ligne, notamment contre le harcèlement. Mais surtout, au delà des pouvoirs publics, "les entreprises et les cybercitoyens doivent tous reconnaître le principe de base selon lequel si la sécurité n'est pas assurée sur l'Internet, les femmes utiliseront moins librement la toile, ce qui aura de lourdes conséquences sur la société et l'économie".

Ainsi la Commission des Nations Unies sur le Haut Débit appelle le secteur privé à prendre les mesures de sauvegarde des droits des femmes sur internet, même lorsque le droit national ne l'impose pas. Elle liste une série d'actions possibles comme :

  • "l'amélioration des systèmes de coopération avec les membres des forces de l'ordre" ;
     
  • "l'application de procédures de retrait plus efficaces concernant les contenus préjudiciables et répréhensibles" ;
     
  • "la possibilité de fermeture d'un compte en cas de comportement répréhensible" ;
     
  • "l'élaboration de rapports au titre des mesures de transparence sur les dossiers portant expressément sur des cyberviolences envers les femmes et les jeunes filles, présentant de manière détaillée les dispositions prises pour faire face à ces violences et précisant les délais correspondants".

En France et sous l'impulsion de la ministre Najat Vallaud-Belkacem qui avait voulu "bannir le sexisme sur internet", la loi pour l'égalité réelle entre les femmes et les hommes du 4 août 2014 a déjà modifié la loi pour l'économie numérique (LCEN) qui aménage le régime de responsabilité des acteurs privés sur internet. Elle a ajouté à l'article 6-I de la LCEN la nécessité de lutter contre "l'incitation aux violences faites aux femmes", à travers les mécanismes obligatoires de signalement de contenus illicites qui doivent être retirés par les hébergeurs dès qu'ils en ont connaissance.

Mais toute la difficulté démocratique est de laisser à des acteurs privés le soin de qualifier la licéité des contenus publiés. Quelle est par exemple la frontière, s'il faut en tracer une, entre une blague sans arrière pensée jouant sur les stéréotypes hommes/femmes, et une plaisanterie de mauvais goût cherchant à rabaisser les femmes ? A quel moment la tentative légitime de séduction entre-t-elle dans le champ répréhensible du harcèlement ?

C'est l'impossible quadrature du cercle entre d'un côté, la nécessité de sauvegarder le droit des femmes, et de l'autre la nécessité de préserver l'état de droit dans une société qui, de fait, est bien davantage dominée et régulée par les acteurs privés que par les pouvoirs publics traditionnels. La question se pose avec les violences faites aux femmes comme elle se pose en de nombreux autres domaines, où la justice étatique tend à s'effacer au profit du pouvoir de censure privée des entreprises, qui ont non seulement le droit mais le devoir de protéger les droits de leurs clients et des tiers.

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