À la faveur de la future révision constitutionnelle, le parlement français pourrait ériger certains thèmes relatifs au numérique au sommet du système juridique français. En effet, des députés et des sénateurs proposent de donner une valeur constitutionnelle à une charte proclamant une série de principes, comme la neutralité du net, l’accès au réseau ou le droit à ne pas être un analphabète du numérique.
Aujourd’hui, quatre textes forment la norme juridique suprême : il y a la Constitution du 4 octobre 1958. Son préambule renvoie à trois autres documents : la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789, le Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 et la Charte de l’environnement de 2004. Ils définissent le régime politique de la France et organisent les pouvoirs publics.
Or, ce socle des textes fondamentaux pourrait être élargi en accueillant une « charte numérique », que François de Rugy, le président de l’Assemblée nationale, a mise en avant ce vendredi 22 juin. L’intéressé a déjà exprimé par le passé son souhait de voir certains droits liés aux nouvelles technologies figurer dans la Constitution française, à commencer par la neutralité du net.
La charte numérique
Que dit cette charte ?
« Le peuple français, considérant que le numérique prend une importance déterminante pour l’humanité en raison des transformations qu’il induit, que les principes d’un Internet neutre, ouvert et non-centralisé doivent être défendus, que les technologies numériques représentent un vecteur de progrès pour l’humanité mais aussi un enjeu de souveraineté du Peuple, la liberté des personnes et l’indépendance des institutions, que l’égalité des personnes et des territoires face au numérique est un objectif que l’État doit rechercher, proclame » :
- Article 1er : la loi garantit à toute personne un droit d’accès aux réseaux numériques libre, égal et sans discrimination.
- Article 2 : dans les limites et les conditions fixées par la loi, les réseaux numériques sont développés dans l’intérêt collectif et respectent le principe de neutralité qui implique un trafic libre et l’égalité de traitement.
- Article 3 : le numérique facilite la participation de toute personne à la vie publique et l’expression des idées et des opinions.
- Article 4 : toute personne a le droit, dans les limites et les conditions fixées par la loi, d’accéder aux informations détenues par les autorités publiques ou utiles à un débat d’intérêt public et de les réutiliser.
- Article 5 : la loi garantit à toute personne la protection des données à caractère personnel qui la concernent et le contrôle des usages qui en sont faits.
- Article 6 : toute personne a le droit à l’éducation et à la formation au numérique et à son utilisation.
- Article 7 : la présente Charte inspire l’action européenne et internationale de la France.
Ce ne sont pas les seules modifications qui sont proposées.
Le Monde signale que le groupe de travail commun entre l’Assemblée nationale et le Sénat chargé de réfléchir à l’inclusion des droits et libertés numériques dans la Constitution propose, outre cette charte numérique, de faire deux ajouts dans la Constitution de 1958, aux articles 4 (sur la souveraineté) et 34 (des rapports entre le parlement et le gouvernement).
Ce principe déclare que le trafic qui circule doit être traité de manière égale, c’est-à-dire sans discrimination, limitation ou interférence, qu’importe le destinataire, l’expéditeur, le type, le contenu, l’appareil, le service ou l’application.
Les deux amendements reprennent en fait les éléments de la charte. Le premier vise à ajouter la mention suivante : « la loi prévoit les conditions dans lesquelles les partis politiques et les personnes peuvent participer à la vie démocratique de la Nation grâce aux réseaux numériques ». Quant au second, il expose que la loi fixe les règles concernant « l’accès aux réseaux numériques et leur neutralité, l’accès aux informations publiques et leur réutilisation, la protection et le contrôle des données à caractère personnel ».
Il faut noter que la version actuelle de cette charte n’est pas nécessairement celle qui aura valeur constitutionnelle, si cette initiative va jusqu’au bout. « Cette réflexion constitue une base de travail intéressante dans le cadre des réflexions institutionnelles », a ainsi expliqué François de Rugy. Cette rédaction pourra être enrichie et précisée au niveau parlementaire, notamment en commission.
De la démocratie numérique
Cette charte fait suite aux réflexions d’un groupe de travail parlementaire qui a réfléchi à la « démocratie numérique ». Dans son rapport, diverses mesures ont été préconisées, dont celle d’inscrire la neutralité du net dans l’article premier de la Constitution. Cette inscription est aujourd’hui écartée : à la place, elle figure dans la charte qui serait mentionnée dans le préambule de 1958.
Déposé par le gouvernement, le projet de loi constitutionnelle est naturellement soutenu par les membres de l’exécutif. En revanche, seront-ils favorables à cette charte ?
Si les principes qu’elle contient n’ont manifestement rien d’excessif, et que certaines thématiques sont même défendues par le pouvoir (c’est le cas la neutralité du net, au moins verbalement, à l’image d’Emmanuel Macron mais aussi de Mounir Mahjoubi, le secrétaire d’État au numérique, et de Jean-Yves Le Drian, le patron du Quai d’Orsay), cela vaut-il soutien pour leur constitutionnalisation ?
Cela reste à voir. Enfin, il reste l’obstacle du parlement à franchir. En effet, il faut obtenir la majorité des trois cinquièmes des suffrages exprimés pour qu’une telle perspective puisse aboutir. Or, des aspects figurant dans le projet de loi constitutionnelle pourraient inciter des partis d’opposition à voter contre, et cela même s’ils soutiennent par exemple l’alphabétisation au numérique ou le droit d’accès au réseau.
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