Mise à jour du 6 juillet 2018 : A la suite du verdict, d’autres messages ont été publiés — puis supprimés par la modération — sur le forum 18-25 de jeuxvideo.com. L’avocat de Nadia Daam explique avoir porté plainte. L’auteur d’une menace a été identifié et « sera jugé en comparution immédiate » ce vendredi 6 juillet à 13h30.
« J’ai le sentiment qu’il s’est passé un truc, on n’a pas nié la gravité des faits », a témoigné la journaliste Nadia Daam à la sortie du procès au tribunal correctionnel de Paris, ce 3 juillet 2018. Ces propos ont été rapportés par un journaliste de France Info, qui faisait partie des nombreux journalistes présents pour couvrir le procès de leur consœur.
C’est la première fois que deux internautes anonymes sont condamnés par la justice française pour avoir envoyé des menaces de mort en ligne. Ils ont écopé de 6 mois de prison avec sursis et 2 000 euros de dommages chacun.
L’objectif de Nadia Daam était clair : montrer que « le cyber-harcèlement peut être puni ». La journaliste s’était fendue, le 31 octobre 2017, d’une chronique sur Europe 1 dans laquelle elle dénonçait les raids et harcèlement provenant de plusieurs internautes du forum « 18-25 » de jeuxvideo.com, qui appartient au groupe de média Webedia.
À la suite de cette chronique, elle a été ciblée par de nombreuses insultes, menaces de mort, photomontages dégradants, appels au meurtre et au viol sur elle et sa fille, partagés sur le forum 18-25 mais aussi sur la messagerie Discord ou sur Twitter. L’avocat de la journaliste, Me Eric Morain, avait choisi de se focaliser sur les « menaces et les menaces de mort », sachant que le cyberharcèlement était difficile à caractériser, et donc à punir.
Le cyberharcèlement peut être puni en France
C’était d’ailleurs la défense de l’un des deux prévenus ce mardi, accusé de menace de de viol sur la journaliste. Plaidant la relaxe, l’avocat de ce dernier a cherché à démontrer que la « menace » n’en était pas vraiment une, s’appuyant paradoxalement sur le fait que la journaliste aurait reçu… des menaces beaucoup plus graves. Et confirmant au passage que Nadia Daam a bien été victime de cyberharcèlement à grande échelle.
À noter que selon le code pénal, une seule menace suffit pour risquer jusqu’à trois ans d’emprisonnement et à 45 000 euros d’amende.
Sur le droit, la démonstration de la défense est cohérente — bien qu’elle n’ait pas touché la justice. Elle montre également combien le cyberharcèlement est, dans le droit, impossible à caractériser et à punir. Il a beau exister un projet de loi censé pouvoir faire condamner quelqu’un qui aurait participé à un raid de harcèlement avec « seulement quelques tweets », même la secrétaire d’État à l’égalité femmes-hommes Marlène Schiappa a concédé sa « valeur symbolique ».
La décision de la juge, qui suit la réquisition du procureur pour l’un et la dépasse pour l’autre (il demandait 4 mois et 6 mois), est donc un signal fort à l’encontre des cyberharceleurs. Et une victoire pour l’avocat de Nadia Daam, qui expliquait à BuzzFeed en juin dernier : « On oublie qu’à destination de ces messages, il y a des vrais gens qui les reçoivent en pleine face. Ce principe de réalité va leur revenir en boomerang car ce seront eux, en chair et en os, qui seront à la barre du tribunal. Tout ça n’est pas virtuel. »
En condamnant fermement les deux auteurs des menaces, la justice française envoie un message plus large et fait jurisprudence : le cyberharcèlement est aussi puni.
L’impunité laisse place à l’indignation
Au moment de l’audience le mois dernier — renvoyée à ce 3 juillet — nous montrions combien le sentiment d’impunité restait encore marqué au sein de certains forums. Si le fameux « 18-25 » est aujourd’hui bien plus surveillé et modéré par Webedia qu’avant, plusieurs internautes se retrouvent encore sur d’autres plateformes pour partager leurs impressions, et parfois échanger encore photomontages et insultes.
Ce 3 juillet, plusieurs membres (ou anciens membres) du 18-25 se sont retrouvés sur Discord, mais aussi sur d’autres forums alternatifs (dont nous ne partagerons pas les liens) pour parler du procès. Au total, des centaines de messages ont été échangés, certains insultants, certains antisémites, d’autres révoltés par l’existence même du procès. Puis à l’annonce du verdict, les messages se sont transformés. De la certitude qu’il « n’y aura rien » (pas de conséquences), l’ambiance a laissé place à l’indignation.
Ils sont notamment plusieurs à réaliser l’ampleur de la condamnation, en comparant les 6 mois de sursis aux autres condamnations données par le tribunal correctionnel le jour de l’audience, comme un chauffard sans permis qui a renversé un cycliste (3 mois avec sursis) ou mari qui a battu sa femme (un mois avec sursis).
S’il n’existe toujours pas de loi spécifique contre le cyberharcèlement, un tel jugement est venu, aujourd’hui, montrer que ces faits peuvent être condamnés, comme le souhaitait Nadia Daam. «Je veux pouvoir avoir une discussion avec ma fille et lui dire : ‘Tu vois, heureusement, quelqu’un peut être puni quand il fait ce genre de choses’», affirmait-elle le mois dernier.
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