Interrogée dans le cadre de cet article, Lucie Basch, fondatrice de Too Good To Go, interviendra lors de la MaddyKeynote le 31 janvier 2019. Un événement auquel s’associe Numerama en tant que partenaire média.
Imaginez un instant : ce matin, vous avez préféré prendre le vélo à la place de la voiture pour aller au travail. Une fois arrivé, vous recevez une notification sur votre smartphone. On vient de vous rétribuer pour cette bonne action écologique.
Ce scénario n’a rien d’une science-fiction. C’est exactement ce que propose la startup sud-coréenne CyClean : mesurer votre activité physique et vous récompenser en cryptomonnaie pour les émissions nocives ainsi évitées.
Alors que la survie de l’humanité ne tient plus qu’à un demi-degré, le choix de de CyClean a de quoi laisser songeur. Ne reste-t-il donc plus que l’argument économique pour tenter de ramener l’humanité dans le droit chemin ? Faudrait-il désormais envisager de nous payer, ou de nous attirer par des prix attractifs, pour susciter notre envie de sauver la planète ?
La recherche d’un profit immédiat
« L’être humain est un animal individualiste, nous avons tous une part d’égoïsme », avance Mathilde Ramadier, essayiste et autrice d’un ouvrage consacré à l’écologie « profonde » — un courant qui attribue à tous les êtres vivants la même valeur, sans privilégier les besoins humains.
Elsa Causse, responsable du master de psychologie sociale et environnementale à l’université de Nîmes, confirme cette tendance : l’être humain risque de s’impliquer difficilement au niveau individuel s’il n’en retire pas un profit immédiat. « On a aussi tendance à penser que mettre ce genre de ‘carotte’ aide », reconnaît la chercheuse. Gagner de l’argent en adoptant des comportements plus écologiques pourrait avoir un effet global et concret.
Le changement est artificiel s’il ne vient pas d’une motivation interne
Cependant, les autrices soulignent les limites de cette solution. « Le problème est qu’à long terme ce changement est artificiel, car il ne vient pas d’une motivation interne », analyse Elsa Causse. Mathilde Ramadier complète : cela « maintient les individus dans un système de sanction. » Si notre rétribution s’interrompt, notre action menée en faveur de l’environnement cessera probablement aussi.
Un moyen de prendre conscience
Et si la motivation économique servait plutôt de porte d’entrée vers une véritable prise de conscience écologique ? C’est le postulat qu’a choisi Too Good To Go. Sur cette application mobile lancée en 2016, les internautes sont indirectement encouragés à réduire le gaspillage alimentaire. Le principe est simple : les utilisateurs peuvent acheter les invendus des supermarchés, hôtels ou épiceries à récupérer sous forme de paniers, à des prix avantageux.
Too Good To Go affirme avoir ainsi sauvé plus de 3 millions de repas
« L’objectif de Too Good To Go est de convaincre des gens qui n’ont pas une sensibilité écologique, par l’intermédiaire d’un intérêt économique », nous confirme Lucie Basch, fondatrice et directrice de l’app. En 2018, Too Good To Go affirme avoir ainsi sauvé plus de 3 millions de repas, avec un maillage de 5 500 commerçants sur le territoire hexagonal.
« Contraindre les habitudes quotidiennes peut être difficile, mais nous pensons que les dimensions sociales et économiques peuvent aller de pair », complète la fondatrice de l’app.
https://www.youtube.com/watch?v=2XMwZWpw1uA
Lorsque nous interrogeons Elsa Causse sur les raisons de la popularité d’un service comme Too Good To Go, la psychologue rappelle une autre réalité : en société, chacun de nous a intérêt à se déclarer en faveur de l’environnement — en d’autres termes, cela est bien vu.
« L’argument écologique sert finalement à rationaliser l’argument économique. Dire que l’on est en faveur de l’environnement est socialement valorisé. Mais il faut garder en tête qu’il peut exister une frontière entre les paroles et les actes », nous explique-t-elle.
Devenir écolo pour être cohérent
La psychologue imagine qu’une véritable prise de conscience écologique peut venir d’ailleurs : de notre souci d’éviter l’incohérence. En psychologie, on parle de « dissonance » pour qualifier des comportements ou émotions qui entrent en contradiction chez un même individu.
Cette tension pourrait nous pousser à adopter des comportements plus écologiques. Admettons que nous soyons payés pour faire du vélo au lieu de prendre notre voiture. Pour éviter la dissonance, nous aurions tendance à changer d’autres actes. Nous nous mettrions ainsi à recycler nos déchets ou à manger de la nourriture biologique pour faire concorder ces comportements — alors que ces derniers ne garantissent aucune rétribution.
Notre peur de la dissonance pourrait nous rendre écolos
La solution économique peut-elle porter ses fruits sur le long terme ? Difficile de savoir de quel côté la balance doit pencher, entre l’impératif écologique et nos questionnements éthiques. « Tout le monde tombe d’accord sur l’urgence de la cause environnementale. […] Nos convictions sont touchées par cette remise en question », soulève Elsa Causse.
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