La construction de la future infrastructure informatique du Pentagone se fera sans Google. La société a renoncé à l’appel d’offres lancé par le département de la défense des États-Unis, alors même que le contrat a attiré les plus gros poids lourds du secteur technologique américain, comme Microsoft et Amazon, en raison des énormes perspectives économiques qu’il charrie.
L’enjeu est considérable : il s’agit de procéder au transfert d’énormes quantités de données du Pentagone vers un fournisseur privé, qui mettrait alors à disposition ses ressources (de la puissance de calcul ou un espace de stockage via ses propres serveurs informatiques, accessibles à distance) et ses compétences. Bref, il s’agit de mobiliser un opérateur commercial pour du cloud militaire.
Le projet, appelé Joint Enterprise Defense Infrastructure (JEDI), pourrait s’étaler sur une dizaine d’années, indique Bloomberg le 8 octobre 2018. Et pour l’entreprise qui décrochera le gros lot, le montant du contrat pourrait atteindre pas moins de 10 milliards de dollars. le retrait de la firme de Mountain View tranche de fait avec l’attitude que l’on observe chez ses rivaux, qui eux restent dans la course.
« Nous ne sommes pas sûrs que le projet serait conforme à nos principes sur l’IA »
Mais le plus surprenant reste les raisons invoquées. Si l’a première explication ne suscite guère de commentaires (« nous avons déterminé que certaines parties du contrat étaient hors de portée de nos certifications gouvernementales actuelles », selon un porte-parole de Google, cité par la presse américaine), la seconde est plus inattendue, car elle se fonde sur les principes éthiques du groupe.
« Nous ne candidatons pas pour le contrat JEDI parce que nous ne pouvions pas être sûrs qu’il serait conforme à nos principes sur l’intelligence artificielle », affirme la société. Ces principes, au nombre de sept, ont été exposés début juin par Sundar Pichai, le patron de Google. Parmi eux figure la nécessité que le projet soit bénéfique socialement et d’éviter des effets injustes sur les personnes.
Cette décision audacieuse — on ne s’assoit pas comme ça sur une opportunité à 10 milliards de dollars — donne d’une certaine façon corps à son nouveau slogan (« do the right thing », au lieu de « don’t be evil »), en tout cas aux yeux de ceux et celles qui craignent la porosité croissante, outre-Atlantique, entre le complexe militaro-industriel et les géants du secteur high tech.
Pour autant, cela ne veut pas dire que Google coupe tout lien avec le gouvernement : le porte-parole a bien fait remarquer que son employeur continuera à travailler en soutien des autorités, « de bien des façons », et en particulier en mobilisant ses capacités dans le cloud. Le groupe va toutefois faire preuve de beaucoup plus de prudence, afin de ne pas retomber dans un scandale similaire à Maven.
L’affaire Maven
L’affaire a éclaté ce printemps : des milliers d’employés ont interpellé Sundar Pichai pour le prier d’annuler ce programme créé en partenariat avec le Pentagone. Certains salariés avaient même démissionné, entraînant une crise interne dans la société et révélant du même coup un malaise croissant dans la Silicon Valley sur les usages sécuritaires de la technologie.
Le projet Maven visait à développer et à fournir au Pentagone une technologie capable d’analyser les images filmées par les drones déployés sur les théâtres d’opération de l’armée américaine. Cette levée de boucliers, renforcée par l’intervention d’universitaires, qui ont eux aussi publié une lettre ouverte, a conduit Google mettre un coup de frein et à ne pas le renouveler en 2019.
Reste une réalité : la nature ayant horreur du vide, la place laissée par Google sera comblée par un rival moins tourmenté. Les dilemmes moraux auxquels l’entreprise américaine est confrontée semblent avoir moins d’effet sur un groupe comme Amazon : la société est en effet encore en course et a déjà réussi en 2014 à décrocher un contrat de cloud computing de 600 millions de dollars avec… la CIA.
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