Afin de rééquilibrer la balance entre les petits commerces de proximité et les grandes plateformes de commerce électronique, les maires proposent de taxer à hauteur d’un euro chaque colis commandé en ligne et livré à domicile.

Pour sauver les petits commerces de proximité, faut-il alourdir les contraintes pesant sur les géants du commerce électronique ? Cette réflexion n’est pas nouvelle : en 2012 par exemple, Frédéric Mitterrand, alors ministre de la Culture, songeait à taxer les commandes de livres sur Internet pour alimenter un fonds de soutien dédié aux librairies indépendantes, en difficulté dans le virage numérique.

Amazon dans le viseur

Si la taxe envisagée par Frédéric Mitterrand sur les commandes de livres sur Internet n’a pas eu de suite, les parlementaires ont voté en 2013 un autre dispositif sur la vente à distance des livres. Celui-ci interdit de pratiquer une gratuité des frais de port et oblige les commerces en ligne à afficher un prix 5 % plus cher qu’en librairie traditionnelle.

Six ans plus tard, c’est une logique similaire qui a donné naissance à un amendement que le maire de Cannes, David Lisnard, propose pour le projet de loi de finances pour 2019. Le texte défend le principe d’une « fiscalité commerciale locale équitable » consistant à instaurer une taxe d’un euro par transaction effectuée, lorsque celle-ci a lieu par Internet et qu’elle implique une livraison à domicile.

D’ores et déjà, la proposition de l’édile cannois a reçu le soutien de l’Association des maires de France (il est à noter que M. Lisnard en est le vice-président), mais aussi de députés issus de différents groupes politiques, selon Les Échos : sont cités Charles de Courson (UDI), Bruno Retailleau (LR) et Benoît Potterie (LREM). L’appui des parlementaires sera requis pour intégrer cet amendement au texte.

Quelques exemptions

Sur le papier, le mécanisme imaginé par David Lisnard confie aux plateformes en ligne le soin de collecter cette taxe puis de la reverser à l’État. Les sommes collectées ne pourraient pas être utilisées n’importe comment : elles sont destinées à alimenter un fonds pour les collectivités territoriales, pour compenser la baisse obligatoire de la fiscalité foncière sur les commerces de ville.

Ce dispositif inclurait quelques aménagements et exonérations : par exemple, la taxe ne serait pas appliquée sur une commande en ligne, si la livraison a lieu en point relais ou via un système dit de « click and collect », c’est-à-dire quand la commande sur Internet a lieu sur le site d’une enseigne et que le produit est retiré dans l’une des boutiques de son réseau physique.

« Il est démontré que les boutiques agissant en qualité d’intermédiaire connaissent une augmentation de leur fréquentation et de leur chiffre d’affaires et, qu’en outre, ce mode de livraison est beaucoup moins contraignant pour l’environnement », argue l’AMF. Quant à la baisse de la taxe foncière, celle-ci serait de 10 % et concernait tout commerce dont la surface n’excède pas 400 m².

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CC0 Negative Space

Un demi-milliard d’euros par an ?

Pour justifier cette taxation, l’AMF fait remarquer que, contrairement aux sociétés ayant une implantation locale, les grandes plateformes du e-commerce « ne participent pas aux frais d’entretien des voiries » via la fiscalité locale, alors qu’elles empruntent pourtant la voie publique pour apporter les colis à destination. Or, cela laisserait cet entretien « à la seule charge du contribuable ».

Le rendement annuel envisagé d’une telle fiscalité pourrait être d’au moins un demi-milliard d’euros, l’AMF indiquant que 505 millions de colis ont été livrés l’an passé. Un nombre qui pourrait d’ailleurs progresser avec le temps, et de façon significative, au regard du succès croissant qu’ont le commerce sur Internet et la livraison à domicile auprès de la population.

En tant que leader du e-commerce dans l’Hexagone, Amazon serait de très loin l’un des principaux collecteurs de la taxe. Les plateformes CDiscount, Vente-Privée, Fnac ou bien eBay seraient elles aussi des éléments-clés de ce dispositif. Il est à noter que cette taxe ne serait pas supportée par les plateformes de e-commerce, mais bien par la clientèle, celle-ci étant « due par le consommateur ».

librairie

Des librairies de quartier.

Source : Eric Samson

Une fausse-bonne idée ?

Le dispositif proposé par les maires pourrait toutefois produire des effets inattendus et indésirables : pour échapper à la taxe, il faudrait opter pour l’un des modes où la taxe ne s’applique pas (point relais ou « click and collect ») ou pour un achat directement dans un magasin. Or, cela pourrait être plus difficile pour ceux et celles vivant dans les zones rurales, justement à cause de la désertification.

En outre, s’il s’agit d’inciter la population à retourner dans les petits commerces, rien ne dit que ceux-ci puissent satisfaire le client immédiatement. Les boutiques n’ont pas forcément ce qu’il désire, ce qui implique de passer une commande pouvant nécessiter quelques jours ou semaines d’attente. Quel intérêt, donc, d’un strict point de vue de consommation, par rapport à une commande en ligne ?

Enfin, que ce soit à la campagne ou en ville, la livraison à domicile peut avancer un autre argument : elle peut se faire directement dans la boîte aux lettres, voire directement en mains propres à (pratiquement) n’importe quelle heure. Ça entre nécessairement dans l’équation lorsque l’on a des horaires de bureau qui ne permettent pas forcément d’aller dans un commerce de proximité.

Ces problématiques pourraient être éclaircies en 2019, puisqu’une étude d’impact sur ce dispositif est prévue. Quant à son entrée en vigueur, elle est annoncée pour 2020.

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