Le train de vie que vous affichez sur les réseaux sociaux ne correspond pas à votre situation fiscale ? Ce décalage sera bientôt un objet d’étude de la part du fisc, dans le cadre d’une expérimentation qui débutera prochainement. C’est ce qu’a fait savoir le 11 novembre Gérald Darmanin, le ministre de l’Action et des Comptes publics, lors de l’émission Capital diffusée sur M6.
Concrètement, il s’agit de s’assurer s’il n’y a pas d’incohérence entre le faste de tel ou tel contribuable et ce qu’il déclare à Bercy. Dans le cas contraire, une enquête plus poussée de la part des services des impôts pourrait survenir, pour s’assurer qu’il n’y a pas d’évasion fiscale en jeu. Gare donc aux photos qui sont publiées sur Facebook et compagnie, celles-ci pouvant désormais être utilisées contre vous.
Une « expérimentation »
Les réseaux sociaux étant de vastes silos à données personnelles, il n’est pas tout à fait surprenant de voir les pouvoirs publics orienter leurs efforts en direction de ces espaces numériques pour essayer de repérer les resquilleurs. Gérald Darmanin a expliqué qu’il s’agit d’une « expérimentation ». Cela dit, si on sait où commencent les expérimentations, on ne sait pas vers quoi elles peuvent déboucher.
D’ailleurs le ministre a lâché une petite phrase lourde de sens qui esquisse l’ampleur potentielle à venir de ce programme de traque aux fraudeurs : « Nous allons pouvoir mettre les réseaux sociaux dans une grande base de données ». Une sortie qui laisse entendre que ces traitements mobiliseront les techniques du Big Data pour croiser toutes sortes de données et relever les contradictions de certaines situations.
Questions à résoudre
Plusieurs problématiques restent toutefois en suspens. Gérald Darmanin a par exemple affirmé que « ce sont vos comptes personnels, puisqu’ils sont publics, qui seront regardés par expérimentation ». Faut-il comprendre que seuls les profils dont le contenu est visible publiquement peuvent être ciblés, les autres étant hors de portée ? Ou qu’un compte sur un réseau social est de fait perçu comme public ?
Ce n’est pas la seule interrogation qui se pose : au-delà de l’expérimentation, quelle sera la portée de cette surveillance ? Sera-t-elle limitée à des personnes pour lesquelles il y a déjà des soupçons de fraude fiscale ? Ou va-t-on viser aussi large que possible au sein de la population ? Ce n’est pas tout à fait la même chose de contrôler ponctuellement quelques individus et de surveiller automatiquement tout le monde.
L’identification des comptes et leur rattachement à des personnes physiques sont d’autres obstacles : s’il est assez simple de le faire avec Facebook, puisque les individus ont tendance (et sont incités) à inscrire leur vrai nom, c’est une autre paire de manches pour des services comme Twitter et Instagram, où le pseudonyme est monnaie courante — sauf à obtenir la coopération de ces plateformes.
Enfin, il reste à distinguer les publications elles-mêmes : les réseaux sociaux étant le théâtre des vanités, il convient de ne pas forcément toujours se fier aux photos qui sont partagées et aux messages qui sont publiés, les internautes pouvant avoir tendance à enjoliver leur existence dans l’espace numérique. Un point qui manifestement n’a pas échappé à Gérald Darmanin.
« Il y aura la permissivité de constater que si vous vous faites prendre en photo, de nombreuses fois, avec une voiture de luxe alors que vous n’avez pas les moyens de le faire, peut-être que votre cousin ou votre copine l’a prêtée, ou peut-être pas », a-t-il dit. En clair, c’est surtout la récurrence des photos et des annonces qui constituera une piste à creuser pour le fisc, et non l’écart ponctuel.
Et la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) dans tout ça ? Selon RTL, l’autorité administrative indépendante devra délivrer son feu pour les contrôles ciblés sur les réseaux sociaux.
Des réflexions pas neuves
Les réflexions sur l’utilisation des réseaux sociaux pour combattre les comportements illicites ne sont pas neuves. En 2013 et 2014, des questionnements de ce genre avaient émergé pour la Sécurité sociale (contre les faux arrêts maladie) et le fisc (contre les déclarations erronées). À l’époque, nous relevions que ces dispositifs étaient notamment actifs en Italie et aux États-Unis.
Les récentes évolutions législatives françaises permettent aujourd’hui (en réalité, c’est en 2019 que l’expérimentation débutera) d’aller dans cette direction : il y a notamment un décret publié en novembre 2017 autorisant Bercy à procéder expérimentalement au croisement de très nombreuses données personnelles issues d’une multitude de fichiers économiques et financiers concernant les particuliers.
Il y a également eu un amendement à la loi du 23 octobre 2018 sur la lutte contre la fraude qui indique que le droit dont dispose Bercy auprès des opérateurs télécoms et d’internet permet de « collecter des indices pour détecter et prouver une fraude », mais aussi de noter la domiciliation d’une personne physique ou morale en France ou encore de constater une activité occulte.
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