« Je viens pour apprendre à envoyer des mails. Parce que je vis en foyer, et là-bas, tout risque d’être volé, même le courrier. Alors que grâce à internet, je pourrais parler avec mes proches. » Ali Bardi a une belle barbe blanche, les yeux rieurs, et 74 ans au compteur. Il est venu d’Aubervilliers ce jeudi matin pour assister au quatrième cours de la session d’initiation à l’informatique que propose Emmaüs Connect dans son centre de Saint-Denis. Au programme des deux heures : utiliser un navigateur et faire une recherche en ligne.
« Si je maîtrise les outils numériques, j’espère que ça aidera mon dossier »
Sur six inscrits, quatre apprenants ont fait le déplacement. Ils représentent assez bien ces 14 millions de personnes touchées par l’illectronisme en France : 60 ans de moyenne d’âge, issus de milieux précaires, deux d’entre eux sont arrivés là sur conseil de leurs assistantes sociales. Le troisième après avoir entendu parler d’Emmaüs Connect par une autre association. La quatrième, Mariama Diallo, 48 ans, a décidé de s’inscrire en attendant la réponse de l’Office Français de Protection des Réfugiés et Apatrides (OFPRA) à sa demande d’asile. « Si je maîtrise les outils numériques, j’espère que ça aidera mon dossier » dit-elle, avant d’ajouter, comme tous ses camarades : « De toute façon, aujourd’hui, tout se fait en ligne. Alors il faut se former. »
Il faut tout apprendre
« Maintenant il faut que vous mettiez le bateau Firefox à l’eau. » Volontaire de l’association, Houda El Ouali lance les consignes tout en gardant un œil sur l’ordinateur de Rabah Labidi. 65 ans, veste Adidas grise fermée jusqu’au cou et des lunettes à monture noire qui lui donne un air sérieux, cet autre élève a tendance à fermer Firefox un peu trop fréquemment. À chaque fois, ça l’oblige à rouvrir le navigateur, chercher le site lesbonsclics.fr (développé par WeTechCare, une start-up partenaire d’Emmaüs) et à retrouver l’exercice en cours. « Vous vérifiez bien où est votre souris avant de cliquer, ça vous évitera de devoir tout recommencer. Une fois qu’elle est sur le bateau de votre navigateur, vous cliquez et vous l’emmenez vers l’eau. »
Assis juste à côté, Ali Bardi rigole : « Mais, il est chaviré mon bateau là ! ». Il aime bien attirer l’attention de Houda El Ouali ou de Jocelyne Franck, l’autre volontaire qui aide les étudiants. Pour quiconque utilise un ordinateur quotidiennement, les tâches qu’ils doivent effectuer, avec ses camarades, sont simples. Mais pour ceux qui débutent, tout est à apprendre, de la vitesse de défilement du curseur, pour avoir le temps de lire toutes les consignes de l’exercice, jusqu’au vocabulaire : taper, c’est sur un clavier ; cliquer, c’est avec la souris ; une fenêtre et un onglet, c’est différent, etc. Rabah Labidi trouve cela difficile : « On n’a pas fait d’études supérieures, on n’a pas l’habitude. Et moi, ma tête ne fonctionne pas forcément très bien. C’est compliqué de se souvenir de tout. »
Mais ne pas maîtriser les outils numériques rend le quotidien encore plus compliqué. « La retraite, la poste, les assurances… Tout, absolument tout devient numérique », énumère Ali Bardi en retrouvant son sérieux. « L’autre jour, j’avais besoin d’aller vérifier les remboursements de ma mutuelle, j’avais mon numéro de contrat, et impossible de me connecter. Je me suis déplacé jusqu’au guichet, on m’a donné un autre numéro pour me connecter, mais impossible ! » Il évoque la sécurité de ses données aussi, à laquelle les apprenants seront initiés dans l’un des prochains cours : « Pour utiliser internet, je dois aller au cybercafé. Sauf que je ne sais pas comment faire pour revenir en arrière, pour effacer mes recherches. Alors il faut que j’apprenne ! »
Il faut constamment « s’entraîner » à utiliser internet
Ancien éboueur, Lassana Ndiaye voudrait, de son côté, se lancer dans l’informatique. Il est au chômage depuis 2014, quand un accident de travail lui a interdit de faire des efforts physiques. « Mais avec internet on peut faire plein de choses en ligne, même monter sa société. Et pas besoin de bouger. » Pour y arriver, il faudra qu’il trouve des formations complémentaires, car il ne reste plus que deux fois deux heures avant que celle-ci ne soit terminée. Houda El Oualdi explique d’ailleurs que les étudiants « sont facilement déçus, parce qu’ils ne mesurent pas forcément qu’il s’agit d’une initiation. »
Mais ceux qui le souhaitent pourront tout de même revenir au centre Emmaüs Connect, pendant les permanences connectées. À ce moment-là, ils pourront soit demander à des bénévoles de les aider à mettre leurs CV en ligne ou dans leurs démarches administratives, soit s’entraîner, grâce à d’autres exercices. C’est ce que Mariama Diallo a prévu de faire, car « ce genre de connaissances, ça part vite. Il faut pratiquer, pour bien y arriver. Et comme ça, je pourrai acheter ce que je veux et trouver un travail. Parce que jusqu’à maintenant, je ne savais pas comment faire pour en chercher un en ligne.»
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