Le 27 novembre, Iris a annoncé la bonne nouvelle par un tweet. Un homme soupçonné d’avoir harcelé, agressé ou violé au moins une vingtaine de femmes avait été arrêté la veille par la police. Il était dénoncé depuis des mois par des victimes sur Twitter. Comme elles, d’autres utilisent le réseau social pour partager les descriptions physiques ou les modes d’actions de leurs agresseurs qui sévissent dans la rue et les transports en commun. Une réponse à une certaine inaction des autorités, disent-elles.
Pour Iris, tout a commencé dans le 11ème arrondissement de Paris. Un jour, alors qu’elle rentre chez elle, un homme insistant tente de forcer le passage menant à sa cage d’escalier. Elle parvient à le repousser, et à rejoindre son appartement. Cet épisode lui reste en tête, jusqu’à ce qu’elle tombe sur Twitter sur le témoignage d’une femme.
Une vingtaine de témoignages sur Twitter
Cette dernière raconte s’être fait approcher et harceler par un homme, que nous appellerons A. Il l’a approchée en lui demandant si elle était raciste ou homophobe, est est parvenu à attirer sa sympathie, avant de devenir agressif. Iris reconnaît le mode opératoire exact de son propre harceleur. Elle se met alors à fouiller Twitter, et tombe sur une vingtaine de témoignages similaires. Les histoires s’étalent sur plusieurs mois, entre septembre et décembre, et concernent tous le 11ème arrondissement de Paris.
« Au départ, je ne voulais pas porter plainte parce que je me disais que ce qu’il m’était arrivé à moi ne justifiait pas une plainte, raconte Iris à Numerama. Quand j’ai vu toutes ces autres victimes, quand j’ai posté moi-même mon témoignage sur Twitter, j’ai senti tout à coup que j’avais une responsabilité : celle de protéger les autres femmes.»
Plusieurs plaintes, et une arrestation
Elle s’est mise à compiler les témoignages. Elle a envoyé des messages privés aux victimes, leur a demandé si elles souhaitaient porter plainte, toutes ensemble. L’une d’entre elles a accepté. « On s’est rendues ensemble au commissariat. Alors qu’on patientait, on a entendu deux autres femmes venir témoigner, et faire la description du même homme », se souvient Iris.
La procédure s’est accélérée lorsque A. a agressé et tenter d’étrangler la voisine d’Iris. La voisine, qui avait réussi à le prendre en photo, a porté plainte. S’en sont suivies « 4 ou 5 autres plaintes ou mains courantes ».
Nous avons tenté, sans succès, d’obtenir confirmation auprès de la police. Marie, une étudiante en médecine de 24 ans, nous a confirmé avoir également porté plainte. Elle aussi, a croisé la route de A. alors qu’elle allait prendre un café dans son QG à Bastille. Elle aussi, a subi son insistance, ses insultes, et a par chance réussi à fuir. Elle aussi a témoigné sur Twitter. Elle nous dit avoir reçu une cinquantaine de témoignages depuis.
Aujourd’hui, A., qui s’était échappé d’un hôpital psychiatrique, aurait été replacé sous surveillance.
« J’avais besoin de cette solidarité féminine »
À en croire Iris et Marie, cela n’aurait pas été possible sans Twitter. Je n’aurais pas pu faire ça seule, raconte Iris. J’avais besoin de cette solidarité féminine que j’ai trouvée sur Twitter. » Marie, quant à elle, explique que « Twitter permet de partager et relayer des informations à des milliers de personnes, voire des millions ». Elle qui a vu des gens décrocher un job ou retrouver un proche disparu grâce à Twitter estime que c’est également un bon moyen d’avertir des agressions subies.
Comme elles, d’autres femmes ont choisi ce moyen pour se faire entendre. Parfois, cela se conclut par une action en justice. En novembre, un agresseur sexuel que sa victime avait filmé et posté sur Twitter a été condamné à de la prison avec sursis (il a depuis fait appel), racontait BFM.
Mais la plupart du temps, il ne se passe pas grand chose, malgré les témoignages concordants. Depuis des mois sont par exemple partagées entre autres les photos d’un jeune homme qui se promène avec une fausse couronne sur la tête. De nombreuses femmes disent avoir été harcelées ou sexuellement agressées par cet individu, dans plusieurs villes.
Des agresseurs suivis à la trace
Maya, 20 ans, a partagé un signalement début décembre sur ce dernier, qu’elle a croisé à la station de métro parisienne Châtelet. Elle nous explique l’avoir reconnu grâce à des messages vus sur Twitter. « C’est ce qui m’a permis de pouvoir l’éviter rapidement », témoigne-t-elle.
Quelques heures après avoir posté son tweet, elle a reçu un message d’une autre femme ayant croisé sa route, et a mis à jour en ligne la position du harceleur. Comme l’explique Maya, ces réactions et échanges en ligne sont le reflet d’un sentiment d’insécurité et d’une sensation d’impuissance généralisé auprès des femmes. En 2015, une étude du Haut conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes (HCEfh) montrait que 100 % des femmes ont déjà été harcelées dans les transports en commun.
« J’ai eu beaucoup de retours de femmes qui étaient agacées par sa présence constante dans le métro », nous dit-elle.
« Je me suis dit que la police ne pourrait rien faire pour l’empêcher d’agir »
Lorsqu’elle a aperçu l’homme à la couronne, elle n’a croisé ni agent de la RATP, ni police sur son chemin. Elle n’a donc pas pu signaler directement sa présence. « Je ne le sais pas si je l’aurais fait, admet ensuite Maya. J’avais tellement entendu parler de lui sur les réseaux sociaux, et ce depuis au moins un an, que je me suis dit que la police ne pourrait rien faire pour l’empêcher d’agir. » Pour que la police agisse, il faut qu’une plainte soit déposée. Seulement, ce n’est pas si simple d’en obtenir.
« Mais pourquoi vous avez accepté de parler à un inconnu ? »
Cela s’explique en partie par le fait que beaucoup de femmes doutent de leur ressenti dans de telles situations. Elles n’ont pas toujours conscience d’avoir été harcelées ou agressées, ne se sentent pas suffisamment légitime pour en parler, ou culpabilisent, à tort. Difficile de ne pas le faire quand comme Marie, on reçoit par message privé des « Je suis sûre que tu as [cherché] le viol ».
Pour celles qui passent ce cap, il faut encore avoir du courage en stock pour entamer des poursuites. « Quand on a été au commissariat, se souvient Iris, on nous a dit d’attendre deux heures ou repasser plus tard. On l’a fait parce qu’on savait que d’autres victimes n’auraient jamais le temps de le faire, et ça a été le cas. » L’une des victimes de A. s’est faite rétorquer par un policier : « Mais pourquoi vous avez accepté de parler à un inconnu ? »
Contactés, les services de police n’ont pour le moment pas répondu à nos questions. Si vous êtes victime d’une agression, sachez qu’il est possible de déposer une pré-plainte via le site pre-plainte-en-ligne.gouv.fr. Cela évite l’attente au commissariat.
La RATP, que nous avons contactée car de nombreuses agressions racontées sur Twitter avaient eu lieu dans le métro parisien, a souhaité rappeler les numéros d’alerte : le 3117 par appel téléphonique, le 31177 par SMS. Il existe également des bornes d’appel dans les stations. La RATP dispense à ses agents depuis 2016 une formation dédiée à la prise en charge des victimes de harcèlement et violences sexuelles. Elle rappelle qu’une agression doit être signalée et faire l’objet d’une plainte dans les 72 heures suivant les faits pour que la vidéo de caméra de surveillance puisse être utilisée.
Toutefois, alerter la RATP ne pourra pas se substituer à une plainte devant les forces de l’ordre. Il convient de noter que les agents n’ont pas le pouvoir de procéder à des arrestations. Parmi les témoignages recueillis, plusieurs femmes victimes nous ont même fait état du manque d’agents présents dans les stations, ainsi que de l’impuissance de certains agents de la RATP, qui leur auraient simplement conseillé d’aller « porter plainte au commissariat ».
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