Google est désormais en très bonne position pour que son point de vue sur la portée du droit à l’oubli l’emporte sur celui de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL). Ce jeudi 10 janvier 2019, l’avocat général de la Cour de justice de l’Union européenne, Maciej Szpunar, a transmis ses conclusions. Elles plaident pour une limitation géographique du droit à l’oubli.
Dans cette affaire, qui oppose la firme de Mountain View à l’autorité administrative française, c’est la territorialité du droit à l’oubli qui est en jeu : lorsqu’un Européen obtient de Google (et plus généralement de n’importe quel moteur de recherche) le retrait d’un lien qui le concerne, parce que celui-ci lui fait du tort, faut-il déréférencer l’URL au niveau national (ou plutôt européen) ou dans le monde entier ?
Google vs CNIL
Pour la CNIL, le déréférencement doit être mondial. Elle observe que les Européens ne cessent pas de l’être lorsqu’ils sortent de l’Union. Dès lors, le cadre juridique qui les protège doit s’appliquer partout, y compris quand des recherches surviennent en dehors du Vieux Continent. C’est parce que Google n’avait pas suivi ce point de vue que la CNIL lui a infligé une amende de 100 000 euros.
En somme, la question qui se pose est la suivante : faut-il appliquer le droit à l’oubli selon le lieu géographique de la recherche (et donc lui donner des limites) ou selon la qualité de la personne (et donc que ce droit la suive partout où elle se trouve) ?
L’amende a fait l’objet d’un recours de Google devant le Conseil d’État et celui-ci a saisi la Cour de justice de l’Union européenne pour savoir quelle est l’interprétation juridique de l’arrêt Google Spain rendu en mai 2014. En effet, c’est lui qui a donné naissance au droit à l’oubli. En clair, faut-il se baser sur le lieu géographique de la recherche (l’Europe) ou sur la qualité de la personne (Européen) pour déréférencer ?
Le géant du net estime lui qu’il faut restreindre ce droit. Il donne deux arguments : le premier est qu’il inapproprié qu’un État puisse imposer ses règles aux citoyens d’un autre pays, surtout s’il s’agit de liens licites. Cela créerait un précédent dans lequel s’engouffreraient des pays moins démocratiques. Le second est qu’il faut aussi tenir compte d’un autre droit légitime, celui de l’accès à l’information.
L’entreprise américaine rappelle qu’elle n’est pas la seule à défendre ce point de vue. À ses côtés se tiennent la fondation Wikimédia, le comité des reporters pour la liberté de la presse et l’ONG Article 19. L’EFF aussi s’en inquiète. En guise de voie médiane, Google opte pour un déréférencement sur ses domaines européens (Google.fr, Google.fr, etc.) et procède à la géolocalisation des requêtes.
Limiter le droit à l’oubli à l’Europe
Ces arguments figurent dans les réflexions de l’avocat général. Synthétisées dans le communiqué, elles considèrent que « le droit fondamental à l’oubli doit être mis en balance avec l’intérêt légitime du public à accéder à l’information recherchée ». D’autant qu’une telle mesure pourrait entraîner en réaction des représailles en face qui affecteraient le droit à l’information des Européens eux-mêmes.
Ainsi, observe l’avocat général, si un déréférencement mondial était possible, « le risque serait d’empêcher des personnes dans des États tiers d’accéder à l’information et que, par réciprocité, les États tiers empêchent des personnes dans les États de l’Union d’accéder à l’information ». Car ces derniers estimeraient légitimement inadmissible fait que le droit de l’Union européenne nuise à leur accès à l’information.
Cela étant, l’avocat général ne ferme pas tout à fait la porte un déréférencement global, mais uniquement pour des cas ponctuels. Dans des situations précises, ce droit à l’oubli pourrait ainsi méconnaitre les frontières, mais il ne s’agit pas d’en faire une règle générale. En tout cas, pour l’affaire actuellement discutée devant la Cour de justice de l’Union européenne, cela n’est pas justifié.
Pour l’avocat général, il ne faut donc pas obliger un moteur de recherche à appliquer un déréférencement sur l’ensemble de ses domaines, mais uniquement sur ceux qui sont en rapport avec la nationalité de l’internaute qui est à l’origine de la requête : si celui-ci est français, alors la neutralisation de l’URL doit se faire sur toutes les moutures européennes des domaines et pas davantage.
Par contre, il est indispensable que ce droit à l’oubli local soit parfaitement opéré. Cela peut passer par « toute mesure à sa disposition afin d’assurer un déréférencement efficace et complet » pour qu’un lien présent dans son moteur de recherche devienne inaccessible au sein de l’Union européenne, y compris par géo-blocage d’une adresse IP qui est localisée en Europe (mesure qui peut toutefois être contournée par VPN).
Le verdict final en attente
L’avis de Maciej Szpunar ne lie pas la Cour de justice de l’Union européenne. Si elle va tenir compte de ces conclusions, la juridiction pourrait très bien opter pour une autre solution juridique. En l’espèce, imposer aux moteurs de recherche un retrait global des liens qui lui sont signalés et qui méritent effectivement un déréférencement. Le verdict de l’institution sera rendu plus tard dans l’année.
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