Votre dernier crush ne répond subitement plus à vos messages ? Vous êtes sûrement en train de vous faire « ghoster ». Ce terme qui nous vient de l’anglais « ghost » (fantôme) désigne le fait de ne plus donner de nouvelles du jour au lendemain, sans explications. Contrairement aux idées reçues, il ne s’utilise pas seulement dans le cadre d’une relation romantique, ou par volonté de blesser. Nous avons rencontré des ghosteurs et ghosteuses pour mieux le comprendre.
Des flirts qui ne laissent rien présager de bon
Lorsqu’on pense ghosting, on pense presque immédiatement aux relations romantiques et aux sites et applications de rencontre. Sur ces dernières, ne plus répondre du jour au lendemain est devenu tout à fait banal, comme nous le raconte Guillaume, 32 ans. Il est ou a été inscrit sur AdopteUnMec, OkCupid et Tinder.
Il a déjà ghosté des conquêtes rencontrées sur ces plateformes : des « flirts » qu’il n’avait jamais rencontré dans la « vraie » vie. « Ce n’était généralement pas des gens avec qui j’échangeais depuis longtemps, quelques jours tout au plus », précise Guillaume.
Il raconte que ce n’était pas mal intentionné de sa part. Il a ghosté avant tout parce que les échanges étaient « désagréables », voire irrespectueux, et ne laissaient rien présager de bon pour la suite.
Le trop-plein face aux blagues racistes d’un copain
Le ghosting ne se cantonne pas aux relations amoureuses. On peut aussi cesser de répondre à des amis ou membres de la famille un peu trop « lourds ». Mohammed* ne répond ainsi plus aux messages envoyés par sa tante sur WhatsApp – alors qu’il la voit toujours régulièrement et l’adore dans la « vraie » vie. Ce sont des vidéos (plus ou moins) drôles, qu’il juge parfois problématiques. « Ça c’est grossophobe », dit-il par exemple en pointant du doigt une vidéo.
Pablo*, qui travaille dans la communication, a ghosté Arnaud*, un garçon rencontré en classe de seconde. À l’époque, Arnaud a déjà des comportements qui mettent « mal à l’aise » Pablo. « Une fois il a appelé une fille du lycée « la nègre » en pensant que ça la ferait rire et évidemment, ça n’a pas été le cas. Il aimait bien globalement se moquer des gens dans leur dos » se souvient Pablo. « Parfois je rigolais parce que j’étais un petit con mais je n’osais pas lui dire d’arrêter », dit-il.
Ils sont restés en contact après le lycée, jusqu’au jour où Pablo a été lassé de toutes les blagues « racistes, misogynes ou homophobes ». Ça ne le faisait plus rire et voir Arnaud était devenu un fardeau plus qu’autre chose. Il a alors espacé les messages, il a trouvé des excuses pour repousser leurs sorties, jusqu’à le ghoster complètement.
Le ghosting comme un bouclier protecteur
Le ghosting est aussi une manière de se protéger face à des situations devenues trop compliquées à gérer.
Sur des comptes Instagram ou des pages Facebook sur lesquelles des femmes témoignent de harcèlement (comme ici exrelou), on voit ainsi fréquemment des cas de « ghosting ». Pour celles qui répondent, la moindre phrase, même négative, est parfois comprise à tort comme un encouragement à continuer. Elles préfèrent du coup ignorer les messages.
François, 45 ans, a ghosté un ami diagnostiqué schizophrène qui était devenu toxique pour lui. Lorsqu’il était dans de mauvaises phases, celui-ci devenait « odieux, insupportable » et c’est sur ses amis que toute sa colère et ses mensonges retombaient. François a fini par le ghoster car un simple éloignement ne suffisait plus. « Je n’en suis pas fier mais je n’ai jamais réussi à trouver ce que j’aurais pu faire d’autre, nous raconte le traducteur. Je n’avais pas les ressources nécessaires pour gérer. »
Ce manque de ressources, de « force », d’autres le citent. Mathieu par exemple, a coupé les ponts avec sa marraine après avoir fait « beaucoup pour elle ». Parce qu’elle avait des problèmes d’ordre psychologique, il l’a faite passer au premier plan durant des années, quitte à s’oublier. Il a supporté sans moufeter ses absences, ses mois de silence inexpliqués.
Quand il a eu 30 ans, il a voulu changer : « c’est très cliché mai je me suis mis au sport, j’ai arrêté de fumer, et j’ai eu envie de pour une fois, me recentrer un peu sur moi même ». « J’ai fait le tri autour de moi, je me suis coupé de mes amis toxiques et de ma marraine, raconte-t-il. Je me rendais compte que je n’étais proche d’elle que parce qu’on l’avait choisie pour moi. Elle ne me comprenait pas, me prenait pour un gosse. »
Quand les angoisses prennent le dessus
Au téléphone, Laura* se souvient elle d’une période de sa vie où elle ghostait parce qu’elle n’arrivait plus à faire autrement. Il y a 3 ou 4 ans, elle a arrêté de donner des nouvelles subitement à un groupe d’amis. Elle était proche d’eux : ils se connaissaient depuis des années, et se voyaient 2 à 3 fois par semaine à l’époque. Lors d’une soirée un peu trop arrosée, Laura a, dit-elle, « fait n’importe quoi ». Elle s’est disputée avec certains amis. Le lendemain, la honte a pris le dessus. Mixée à son anxiété sociale, elle s’est transformée en ghosting. Elle n’a plus jamais reparlé à ces amis.
« J’avais conscience que cette réaction était extrême mais je ne pouvais pas faire autrement, mes angoisses avaient juste pris le dessus, j’étais submergée, ça s’est vraiment fait malgré moi », se souvient-elle. Ses amis ont tenté de revenir vers elle, sans succès : plus le temps passait, plus la honte devenait insurmontable. Elle a par la suite ghosté deux psychologues, à cause des mêmes angoisses sociales.
Personne ne sait vraiment pourquoi on ghoste
Les personnes à qui nous avons parlées ont deux points communs. Le premier, c’est qu’elles ne savent pas vraiment pourquoi elles ont choisi le ghosting plutôt que la discussion. Mathieu estime que parler avec sa marraine n’aurait été qu’une « discussion dans le vent ». Guillaume lui, nous raconte : « Ça me semblait compliqué de dire « désolé, je pense que ça ne va pas coller ». Ce n’était pas la peur des réactions, plutôt la peur de devoir expliquer quelque chose qui ne s’explique pas forcément. »
Même lorsqu’on sait pourquoi on a ghosté, il n’est d’ailleurs pas évident de le dire. Laura, qui a aujourd’hui 29 ans, a fait un long travail sur elle-même. Une psychologue (qu’elle promet de ne pas ghoster cette fois) lui a fait prendre conscience qu’elle avait subi sa propre réaction. Mais Laura n’a jamais osé revenir vers ses anciens amis pour leur expliquer, malgré leurs relances. Trop de temps avait passé.
Les ghosteurs partagent également un sentiment de culpabilité, plus ou moins fort. Pablo a longtemps culpabilisé avant de comprendre qu’il avait fait ce qui était de mieux pour lui, et peut-être aussi pour son ancien ami. « Je regrette juste de ne pas lui avoir dit avant ce que je n’aimais pas dans son comportement », reconnaît-il.
Mathieu a aussi ressenti une « forme de culpabilité » liée au fait qu’il connaissait sa marraine depuis 30 ans, et qu’il s’agit d’une membre de sa famille. Il essaye aujourd’hui de se faire à l’idée que cela ne l’oblige pas à entretenir une relation qui ne le satisfait pas.
Le ghosting existe-t-il vraiment ?
Le terme ghosting est peut-être récent, mais le phénomène ne l’est pas. Laurence Allard maître de conférences en sciences de la communication à l’IRCAV-Paris III et Lille, explique : « le ghosting, notamment dans les relations amoureuses, a toujours existé. On pouvait arrêter du jour au lendemain de répondre à des lettres, lorsqu’on en envoyait encore ».
Elle reconnaît cependant que les nouvelles technologies ont changé le ghosting. « Avant on pouvait toujours se dire que la lettre avait été perdue. Aujourd’hui, on a un petit « vu » qui s’affiche dans la conversation et qui ne laisse aucune place à l’ambiguïté », remarque la maître de conférences.
Elle ajoute que sur les sites de rencontre, le nombre de profils, « l’hyperchoix », peut encourager au ghosting. « Les relations se sont démultipliées, on est sur plusieurs sites à la fois », dit-elle.
Guillaume pense ainsi que l’écran crée une « distance » entre les gens « qui fait qu’on s’autorise des comportements qu’on n’aurait jamais eu avec une personne rencontrée en chair et en os ». Il compare cela aux insultes que l’on profère parfois au volant : « on ne se permettrait pas de le faire en face ».
Pour Laurence Allard, tout n’est pas à jeter dans le ghosting, bien au contraire : « ignorer les mails de son ou sa patronne lorsqu’on est au bord du burn-out, c’est salutaire par exemple ». Elle estime en revanche que beaucoup de cas pourraient être évités rien qu’en se détachant de l’injonction à répondre en temps réel. « Prendre le temps de répondre, de réfléchir, même lorsqu’une icône « lu » est apparue, cela permet de diminuer la pression », détaille-t-elle.
Selon certaines personnes, le ghosting n’existerait en fait pas vraiment. Il serait une invention de personnes qui exigent des réponses immédiates, ou des réponses tout court, de personnes qui ne le leur doivent pas nécessairement.
*Les prénoms ont été modifiés à la demande des personnes interrogées.
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