En deux jours, Thomas* n’a pas eu de répit. Le 29 janvier, il créait Bilal Protectors, un compte Twitter qui recense les insultes visant Bilal Hassani. Ce jeune chanteur et vidéaste de 19 ans fait l’objet depuis plusieurs semaines de cyberharcèlement. Sa qualification au concours de l’Eurovision pour représenter la France a eu pour effet d’amplifier encore le volume de messages haineux.
450 personnes contre les cyberharceleurs de Bilal Hassani
Sur les réseaux sociaux, c’est un véritable déferlement de haine qui s’est abattu sur Bilal Hassani. L’artiste fait l’objet de commentaires à caractère LGBTphobe ou raciste, de menaces de violence et menaces de mort.
Pour tenter d’enrayer ce phénomène, des internautes ont décidé de se regrouper. Thomas, la vingtaine, a créé le 29 janvier un compte Twitter nommé Bilal Protectors. Il y republie les insultes et menaces, tague leurs auteurs. Il encourage ainsi sa communauté (déjà près de 450 personnes abonnées) à signaler les messages et les comptes.
https://twitter.com/BilalProtectors/status/1090324914240974849
S’il a créé ce compte, cela n’a rien d’un hasard. Thomas connaissait Bilal Hassani avant les sélections de l’Eurovision. Il le suivait sur Twitter (mais pas sur YouTube), et écoutait ses musiques. L’internaute le décrit à Numerama comme « quelqu’un qui a indéniablement du talent ».
« Je sais ce que c’est de recevoir des centaines d’insultes quotidiennement »
Mais surtout, Thomas s’est reconnu en lui. Depuis 5 ans, il est lui-même victime d’un cyberharcèlement massif à caractère homophobe. « C’est devenu très, très violent, raconte-t-il. On me diffame, comme quoi je serais pédophile, j’ai des insultes parce que je suis gay, on appelle à mon école, on attaque ma famille, j’ai reçu des menaces de mort et mes proches aussi », raconte Thomas, qui poursuit actuellement ses harceleurs en justice à l’aide d’un avocat. « Je sais ce que c’est d’être cyberharcelé. Je sais ce que c’est de recevoir des centaines d’insultes quotidiennement », ajoute le créateur de Bilal Creators.
Aujourd’hui, il en subit les conséquences de plein fouet. Elles sont psychiques, invisibles, mais bien réelles. « Certains pensent que ce n’est pas grave parce que c’est virtuel, que ça ne laisse pas de trace comme un coup poing au visage par exemple, alors que bien sur, c’est tout aussi douloureux d’être humilié et insulté en continu sur de longues périodes », dit-il à ce propos.
Thomas explique que Bilal Hassani, étant donné son exposition, doit subir environ « 10 fois plus » que ce que lui a subi : « Je n’ose même pas imaginer ce que ça doit être ». S’il admire le sans-froid et la maturité du chanteur qui continue à s’assumer et à « vivre sa meilleure vie », il a voulu malgré tout l’aider, à son « petit niveau ».
Le temps long de la Justice et l’inaction de Twitter
« Ce devrait être à la Justice de faire ce boulot, ou à la police. Malheureusement ils manquent cruellement de moyens », regrette-t-il. Selon lui, à moins d’avoir les moyens de payer un avocat et la patience que les poursuites aboutissent (dans ce cas, plusieurs mois), difficile d’obtenir réparation. C’est pourtant, estime Thomas, ce qui mène à un niveau de haine comme celui que subit actuellement Bilal Hassani. « Les gens se sentent impunis, ajoute-t-il. Et ils n’ont pas tort parce qu’en réalité, très peu sont condamnés ou ne seraient-ce que poursuivis. »
L’internaute pointe aussi du doigt la responsabilité de Twitter : « Twitter reste bien inactif en matière de lutte contre le cyberharcèlement, l’homophobie, et le racisme ». Il a vu « bien trop de fois » des comportements intolérables être tolérés.
Twitter a certes pris des mesures en la matière, mais elles lui semblent insuffisantes en pratique. Il souhaiterait que Twitter soit soumis à des obligations plus dures, comme par exemple la suppression sous 24 heures des propres illicites (c’est le cas en Allemagne).
Des comptes suspendus et des commentaires supprimés
Pour palier ceci, Thomas a décidé de faire appel au « plus grand nombre ». Les signalements de masse sont une technique régulièrement utilisée par des activistes sur Twitter pour faire disparaître des publications ou des comptes. En effet, plus il y a de signalements, plus les contenus et profils problématiques sont traités rapidement par le réseau social. C’est également le cas lorsque des organisations reconnues, par exemple des associations, font des signalements auprès de Twitter.
Pour rappel, les insultes à caractère homophobe ou menaces de mort sont bien interdites sur Twitter et par la loi. Mais le réseau social est considéré au yeux de la loi comme un simple hébergeur. Cela signifie qu’il n’a pas à contrôler les contenus de manière pro-active. En revanche, il a une responsabilité sur ceux qui lui sont signalés et qui sont illicites : il doit les retirer rapidement.
Plusieurs comptes ciblés par les Bilal Protectors ont été suspendus. Des tweets ont également été supprimés. Thomas raconte par contre qu’il commence à recevoir sur ce compte des propos « homophobes et injurieux ». Il confie qu’il s’y « attendait », et qu’il ne regrette pas pour autant son geste, s’il peut aider Bilal Hassani. Il a aussi reçu « des centaines de messages de soutien » ou d’anonymes qui lui font suivre des profils à signaler.
Les profils et captures d’écran sont transmises à des associations comme Urgence Homophobie, SOS Racisme et Stop Homophobie, ainsi qu’à l’avocat de Bilal Hassani, Me Étienne Deshoulières. Le 29 janvier, plus de 200 plaintes ont été déposées contre les cyberharceleurs de Bilal Hassani. Ils risquent, a expliqué son avocat dans un communiqué, jusque 6 ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende, car ils cumulent plusieurs motifs (menaces de morts, injures à caractère homophobe, etc).
En 2018, plusieurs cyberharceleurs ont été condamnés lors de procès. Ils ont écopé de travaux d’intérêt général, d’amendes ou de peines de prison.
Contacté, Twitter n’a pas encore répondu à nos sollicitations.
*Le prénom a été modifié
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