Et si la France lançait sa propre crypto-monnaie d’État ? C’est la réflexion inattendue que les députés Éric Woerth et Pierre Person ont choisi d’aborder très sérieusement dans leur rapport d’information relative aux monnaies virtuelles. Bien que leur travail ne porte pas spécifiquement sur ce point, les deux élus ont toutefois dressé un panorama international et dressé quelques perspectives.
Disons-le d’emblée : aucune des recommandations du rapport, remis à l’Assemblée nationale le 30 janvier, ne va dans le sens d’une création de crypto-monnaie publique, qui serait adossée à la Banque de France. Les propositions portent sur les enjeux de fiscalité, de définition juridique, de droit au compte, d’encadrement des levées de fonds (ICO) et d’encadrement des intermédiaires.
Ainsi, les deux rapporteurs expliquent avoir fait « le choix, dans ce rapport, d’écarter la question d’une crypto-monnaie d’État ». Pour les deux élus, « une mission plus approfondie sur le sujet serait nécessaire ».
Cela étant, malgré les limites qu’ils ont choisi de se fixer, le rapport esquisse pourtant quelques éléments de contexte et les avantages potentiels qu’il y aurait à aller dans cette direction.
Des projets variés à l’étranger
Le rapport recense quatre pays qui sont en pointe sur ce sujet, même s’il juge qu’aucun d’entre eux « ne s’est encore officiellement lancé dans le processus ». Il s’agit du Brésil, de l’Estonie, du Japon et du Venezuela. Il relève aussi des motivations très différentes selon les États . L’Estonie a par exemple l’intention d’en faire un levier pour lever des fonds, tandis que le Venezuela explore cette piste pour échapper aux sanctions économiques des États-Unis.
Pour les rapporteurs, « l’émission de crypto-monnaies publiques, garanties par une banque centrale, pourrait permettre de pallier les carences actuelles [du système monétaire actuel ] et retisser un lien direct entre la monnaie banque centrale et le citoyen ». Cependant, des questions se posent : quel taux de conversion ? Doit-il être stable avec l’euro ? Sur quel territoire ? Distribuée par qui et accessible comment ?
Toutes ces interrogations pourraient trouver un début de réponse dans une mission d’information ad hoc, celle qu’appellent de leurs vœux les deux parlementaires, et qui pourrait notamment observer ce qui se fait à l’étranger, notamment en Suède avec l’E-krona ou le Fedcoin, deux projets portés par la Banque de Suède. « Ces exemples soulignent que la création d’une crypto-monnaie d’État n’est pas fantasque », estiment donc Éric Woerth et Pierre Person.
Mais pour quoi faire ?
Mais au-delà des interrogations techniques se pose surtout celle de l’intérêt d’une telle manœuvre : quels seraient les avantages d’une crypto-monnaies officielle et publique en France ?
Le rapport évoque plusieurs raisons : d’abord, cette approche permettrait « d’introduire une unité monétaire sûre, convertible à parité fixe avec la monnaie classique, qui pourrait remplacer le cash et permettre à la banque centrale de mener des opérations de politique monétaire de manière plus directe ». Elle ne différerait pas de la monnaie classique, si ce n’est au niveau de son émission et de sa circulation.
Elle pourrait aussi « jouer un grand rôle dans le financement de l’innovation », à travers des levées de fonds fondées sur cette monnaie virtuelle, en ayant le grand avantage d’éliminer les « incertitudes comptables et les risques liés à la volatilité des crypto-actifs privés ». En effet, il y aurait ici un cours de conversion fixe avec l’euro, une monnaie qui est elle-même très stable.
Une crypto-monnaie française permettrait aussi de garantir un certain degré d’anonymat, tout en conférant des moyens de lutte contre les activités illicites qui seraient tentées de passer par elle. « Il serait possible de retracer facilement et entièrement toute utilisation de monnaie (ce qui n’est pas possible à l’heure actuelle avec l’argent liquide) », observent ainsi les rapporteurs, du fait du contrôle public du dispositif.
Enfin, le dernier atout qui est relevé est celui du lien renforcé et plus direct entre les déposants et la banque centrale. « Dans un monde de comptes individuels à la banque centrale, le taux payé sur les dépôts individuels deviendrait un outil de politique monétaire puissant. Les changements de taux auraient un effet direct et transparent sur les déposants », commente le rapport.
Les parlementaires imaginent même une situation où ces transactions deviennent majoritaires, offrant ainsi aux décideurs politiques « une source utile de données en temps réel », en fonction des fluctuations des dépenses. « Un crypto-actif largement disponible et produisant des intérêts pourrait ainsi, en principe, renforcer le lien entre la politique monétaire et l’économie ».
Un système à repenser
Ces réflexions sont évidemment très théoriques. Le rapport rappelle que les banques centrales des pays du G20 « se sont accordées sur le fait que la technologie n’est pas encore suffisamment mûre pour être développée ». Par ailleurs, les banques centrales n’ont pas rendu opérationnel le moindre de ces projets, malgré les avantages spécifiques avancés par le rapport.
En outre, le rapport rappelle dans ses pages les risques et problématiques classiques que l’on associe aux crypto-monnaies, sans parler du cas de figure des monnaies virtuelles publiques, qui posent des enjeux « en termes de fragilisation de la stabilité financière et des banques de second rang ». Cela étant dit, le rapport ne les considère pas comme étant « irrémédiables ».
En conclusion, le rapport admet que cette réflexion d’une crypto-monnaie émise et gérée par un État, à côté de la monnaie légale ou en remplacement (total ou partiel) de celle-ci, « contient les germes d’une transformation radicale du système monétaire traditionnel et de nouvelles opportunités ». Sa technologie principale, la chaîne de blocs (blockchain), « pourrait réellement être un moyen de repenser le système bancaire sans perdre les bénéfices associés à un système monétaire hiérarchisé et unifié ».
En outre, tout ceci demande des transformations profondes. Le rapport estime qu’il faudrait « non seulement la place des banques centrales mais également celle des banques commerciales ». De plus, il faudrait consentir à des « investissements significatifs dans l’infrastructure physique et numérique ainsi qu’une réflexion approfondie en matière d’anonymat ».
Mais le rapport estime que ces chantiers ne profiteront pas seulement aux crypto-monnaies et à la blockchain. Ils serviront aussi à une « réelle économique numérique ».
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