Jeff Bezos, le patron d’Amazon, est souvent considéré dans ses relations publiques comme l’inverse d’Elon Musk. Discret et cherchant très peu les projecteurs, M. Bezos a pris l’habitude de diriger ses nombreuses entreprises dans l’ombre. Ses sorties publiques sont donc rares et le 8 février, Jeff Bezos n’a pas fait dans la demi-mesure en publiant un article complet sur la plateforme de blog Medium. Jeff Bezos est très énervé.
Dans cet article intitulé Non merci, M. Pecker, le patron d’Amazon révèle que le tabloïde américain The National Enquirer tente de le faire chanter avec des menaces de publication de photographies à caractère sexuel. C’est le mêmeThe National Enquirer qui avait révélé sa liaison extra-conjugale : une enquête qui avait mené à son divorce — et toutes les conséquences que cette affaire personnelle a eu sur le business d’Amazon. D’après l’échange de courriels publié par Jeff Bezos, le tabloïd américain fait pression pour que Jeff Bezos annonce publiquement que cette enquête sur ses relations privées n’avait pas de lien avec « des forces politiques extérieures ». Ce que le milliardaire avait évoqué après la publication des clichés.
Et c’est là où l’affaire devient salée.
Un tabloïde proche de Trump
Car il faut savoir qu’aux États-Unis, le National Enquirer est plongé dans une affaire, qui pourrait, selon son déroulé, devenir un scandale d’état. Le média américain est au cœur d’une controverse impliquant le président Donald Trump et la méthode journalistico-légaliste du catch and kill. Pour faire simple, cette formule évoque la capacité juridique à d’un média à acheter les droits exclusifs sur un scoop et à le tuer, c’est-à-dire, à ne pas le publier par des accords de non-divulgation signés entre les différents partis. Et comme le média devient le seul à avoir légalement le droit de sortir le scoop, elle est protégée par cette exclusivité. Dans cette affaire, la personne protégée par le média est Donald Trump — un grand ami de Pecker, PDG d’AMI, éditeur du National Enquirer.
La touche finale n’est pas moins juteuse : cette amitié a valu à Pecker un dîner privé après l’élection de Trump, avec le président et des officiels saoudiens — un pays où Pecker cherchait à faire du business. Ainsi, le tabloïde américain se retrouve sous le coup d’une enquête, qui doit déterminer son rôle dans la protection du président et dans quelle mesure cette protection a facilité ses affaires en Arabie Saoudite.
Trump utilise-t-il le chantage d’un tabloïde pour se battre contre le Washington Post de Jeff Bezos ?
C’est précisément pour cela que Jeff Bezos avait estimé que la publication de ces photos par le magazine était aussi un coup politique — Bezos est depuis longtemps dans le viseur de Trump, notamment parce qu’il possède le Washington Post, journal dont le professionnalisme n’est pas à remettre en cause et qui a multiplié les enquêtes sur le président américain.
Le jeu d’échecs qui se joue entre Trump et Bezos, par l’intermédiaire de médias radicalement opposés, est donc très intéressant et en aucun cas surprenant dans ses méthodes. On reconnaît dans le chantage au nu une méthode vile qu’aucun journaliste sérieux n’oserait employer. On reconnaît aussi dans la publication d’un billet sur Medium la maîtrise de la communication de Jeff Bezos, qui ne s’éparpille pas dans des déclarations publiques, mais sort de l’ombre quand il le faut.
On comprend alors, en creux, pourquoi Amazon a dépensé des millions lors du Superbowl pour diffuser une publicité sous forme d’ode à la liberté de la presse. Pour lui, les médias sont une manière de gagner ses batailles et la position de chevalier blanc au service de la presse de qualité lui donne une crédibilité non feinte.
Avec la publication de ce billet, la guerre est loin d’être terminée.
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