Cet article a été modifié à la suite d’une demande dite de « droit à l’oubli » sur la base de l’article 17 du RGPD. Après avoir étudié cette demande, Numerama a procédé à l’anonymisation du requérant.
En juin 2009, le journaliste Vincent Glad publie un article sur le site Slate.fr. Intitulé Comment devenir une star de Twitter, il montre en quelques paragraphes la manière dont le réseau social est perçu par ce journaliste web montant, trois ans avant qu’il ne rejoigne le Grand Journal et connaisse une renommée beaucoup plus grande.
« Si l’ère des blogs avait occasionné quelques jolis ‘clashs’, il faut bien avouer que Twitter est vraiment le réseau idéal pour cela. En 140 signes, les insultes et les coups bas partent très vite devant les yeux incrédules de toute la communauté qui s’amuse à ‘retwitter’ les meilleures saillies », écrit-il alors.
Dix ans plus tard, Vincent Glad a été suspendu de ses activités de pigiste à Libération et par le site Brain Magazine, après avoir annoncé avoir créé et fait partie de la Ligue du LOL, un groupe Facebook qui rassemblait une trentaine de journalistes, communicants, blogueurs, et qui a harcelé en ligne de nombreux internautes francophones. Dans un article très partagé du 8 février 2019, Libération a mis au jour quelques noms des membres de ce groupe, aujourd’hui trentenaires, très majoritairement des hommes, laissant transparaître un fort sentiment d’impunité et une escalade de la violence par effet de « masse ».
Depuis ces révélations, de nombreux hommes ont pris la parole reconnaissant avoir fait partie de ladite « ligue » : Vincent Glad (Libération), Alexandre Hervaud (Libération) Olivier Tesquet (Telerama), Guilhem Malissen (Nouvelles Ecoutes), Sylvain Paley (Studio 404), Henry Michel, (rédacteur, créateur de podcast), Baptiste Fluzin (ancien directeur créatif), Stephen des Aulnois (rédacteur en chef du Tag Parfait), David Doucet (rédacteur en chef des Inrocks), Christophe Carron (rédacteur en chef de Slate), R. A. (communiquant).
Après avoir contacté des dizaines de victimes, Numerama publie plusieurs nouveaux témoignages ainsi que des captures d’écran de certains photomontages qui circulaient à l’époque.
Des cibles bien identifiées
Les cibles, « tout le monde » les connaît. Sur Twitter en 2009, le monde semble très petit, voire quasiment réservé aux Parisiens « avant-gardistes » qui se mentionnent mutuellement à longueur de journée. Cet « autre temps » est brandi par de nombreux membres qui parlent d’une autre époque, où les messages privés étaient envoyés en public, et où ils ne se seraient pas rendu compte de l’impact de leurs actions.
Aujourd’hui, de nombreux membres de La Ligue du LOL (LDL) ont supprimé d’anciens messages — parfois par centaines en une nuit —, mais certains messages ont été immortalisés.
Capucine a été l’une des cibles les plus récurrentes de la « ligue », mais aussi d’autres Twittos. Elle est revenue sur Twitter pour témoigner, des années après avoir supprimé son compte, le 8 février 2019. À l’époque, la blogueuse partage notamment des tutos beauté et maquillage, une pratique jugée « ridicule » par une partie des membres de ce groupe — l’un d’entre eux a même connu la célébrité en commençant une chaîne YouTube qui avait, au départ, pour but de parodier les youtubeuses beauté.
Elle reçoit alors des messages d’insultes, de provocation, de railleries.
Le youtubeur Cyprien a également été la cible de la Ligue du LOL en 2011, alors qu’il avait « 19 ou 20 ans ». il venait d’arriver sur Paris, et commençait son premier emploi chez 20 Minutes. Quatre personnes s’en sont prises à lui. Le plus virulent, raconte-t-il à Numerama, aurait été R. A.. « Je recevais des commentaires sur mon blog rabaissants, des insultes, des menaces, des “j’espère qu’il va se suicider” », raconte le vidéaste.
Il ignorait à l’époque tout de la Ligue. Pourtant, il travaillait chez 20 Minutes avec son créateur… Vincent Glad. Le vidéaste décrit ce dernier comme un « personnage » qui aimait « lancer pas mal de pics » comme « tu viens de province » ou « tu ne connais personne ». Il n’a appris l’existence du groupe dédié au harcèlement que des années plus tard, lorsque les révélations et les messages d’excuses ont été publiés.
Matthias Jambon, qui a été victime de harcèlement au printemps 2011, a quant à lui été ciblé après un banal salon du livre, explique-t-il au téléphone. Il s’y rend avec une amie journaliste. Sur place, il croise R. A.. Tous deux se connaissent de Twitter : « Je voyais qui était la Ligue du lol, et quand je me retrouvais dans leurs parages je rasais les murs ». Le but, dit-il, était de « ne surtout pas entrer dans leurs radars ».
Ce que l’auteur ne sait pas, c’est que son amie plaisait beaucoup à R. A., et qu’elle avait refusé ses avances quelques jours plus tôt. En la voyant avec lui, R. A. s’énerve. Le lendemain, Matthias Jambon se souvient être suivi tout à coup par la quasi-totalité des membres de la Ligue du lol sur Twitter. « Mes amis ont eu une réaction unanime. On m’a dit : c’est ton tour », se rappelle l’internaute. 48 heures plus tard, les premières insultes tombent.
Parmi les personnes ciblées, il y avait aussi des hommes, plus âgés, critiqués, car ils faisaient « comme s’ils connaissaient le web », a ainsi analysé dans un tweet d’excuses Sylvain Paley, ancien membre du groupe Facebook, et notamment membre du podcast Studio 404.
Des dossiers bien rangés ont été regroupés sur un Pearltree intitulé « Équipe Wikipedia du LOL », un groupe qui compte 4 membres, dont Vincent Glad et Vadimp, un autre membre de la LDL. Pearltree était un site web de curation plus populaire à l’époque qu’il ne l’est aujourd’hui, dont David Doucet* a été le community manager. L’outil était beaucoup utilisé par certains membres pour partager des captures et garder des informations, dont certaines étaient bien rangées dans ces dossiers nominatifs.
Certains d’entre eux, comme Laurent Dupin, ont témoigné depuis avoir été pris pour cible, notamment par des faux comptes. Ces faux comptes n’ont jamais été attribués à des personnes membres de la Ligue du LOL, mais certains les mentionnaient publiquement de manière ironique.
Des faux comptes ou comptes anonymes ont été énormément utilisés à cette époque — aujourd’hui, il n’est pas possible de savoir qui se trouvait vraiment derrière. Mais certains étaient très actifs et insultaient directement les personnes mentionnées plus haut.
Des photos et des photomontages
Peartree est l’endroit où l’on retrouve aujourd’hui le plus de traces de ce qu’il se passait sur Twitter entre 2009 et 2011. « Je n’étais pas le seul à l’utiliser et il servait notamment à compiler toute la vie de la twittosphère de l’époque », nous explique David Doucet par mail.
Sur certains liens encore actifs, on trouve pêle-mêle des photomontages pornographiques de célébrités, des gifs animés célèbres, de nombreuses captures d’écran de tweets et des mèmes en tout genre. Sur l’un des Pearltree qui appartiennent à Vincent Glad (interrogé, il confirme qu’il lui appartient et qu’il y « compilai[t] les contenus qui [le] faisaient rire à l’époque sur Twitter »), nous avons trouvé plusieurs photos de la journaliste Nora Bouazzouni, qui est l’une des seules femmes à avoir témoigné à visage découvert dans l’article de Libération. Contactée, elle nous explique avoir conscience qu’elle était prise pour cible : « Il faut se rendre compte que tout se savait, à l’époque : tout le monde voyait tout ce qu’il se passait sur Twitter. »
Mais parfois les actions de certains anonymes allaient plus loin.
Matthias Jambon raconte que des photomontages de lui en plein acte sexuel ont été réalisés. Ils ont été envoyés au hasard aux utilisateurs d’un site, avec la mention du compte de son compte Twitter. Le lendemain, il recevait des centaines de messages horrifiés d’adolescents qui le traitent de « sale pédophile ».
Des photomontages, il y en a eu énormément. Nicolas Catard a vu passer des photomontages de lui à caractère pornographique. Ils se sont ajoutés aux insultes ou moqueries de Lapin Blanc, Baptiste Fluzin (qui lui a envoyé un message d’excuses), Jesuisunblog ou encore Gautier Gevrey, alias Woumpah sur Twitter. Contacté, ce dernier n’a pas répondu à nos sollicitations. Au total, « 7 ou 8 » membres de la Ligue du LOL s’en seraient pris à Nicolas Catard.
L’autrice féministe Daria Marx, interrogée par Libération, a parlé d’une « image porno d’une nana grosse et blonde qui pouvait vaguement me ressembler » qui a beaucoup tourné sur Twitter. Stephen « DesGonzo » Des Aulnois, rédacteur en chef du Tag Parfait, a confirmé avoir réalisé ce montage. « C’est de la merde, on est d’accord », a-t-il concédé. Depuis, il a annoncé se retirer de ses fonctions au sein de son média.
« Les mecs s’acharnaient, ils faisaient des faux comptes, ils se retweetaient.»
D’autres membres de ce groupe, comme celui qui répond au pseudonyme Lapin Blanc, sont allés jusqu’à publier des montages antisémites. En août 2012, il publie sur Twitter une photo modifiée de Martin Médus, un ancien blogueur. Il s’agit d’un montage de l’homme — dont la mère est juive — avec une croix gammée photoshoppée sur le torse.
Contacté par Numerama, il nous explique que ce montage ne sortait pas de nulle part. Il explique avoir subi du cyberharcèlement pendant de nombreux mois : « J’avais un blog à l’époque, et je recevais des messages comme ça tous les jours. Les mecs s’acharnaient, ils faisaient des faux comptes, ils se retweetaient. » Quand il reçoit la photo de LapinBlanc — qui a récemment supprimé son compte Twitter —, il lui demande de la supprimer. Celui-ci refuse, lui répondant ironiquement : « La communauté juive polonaise, dont je fais partie, valide le montage photographique (j’ai eu l’accord de ma maman).»
Une autre personne a été ciblée par des montages antisémites : celui que l’on connaît sur internet sous le nom de « Megaconnard » en a aussi été victime, en plus de cyberharcèlement et de photomontages. Une image clairement antisémite a notamment circulé à une époque. Sur Twitter, l’homme a expliqué ne vouloir que l’on ne divulgue ni son visage ni son nom. Nous avons donc décidé de flouter la photo et ne pas mentionner sa véritable identité.
Dans des commentaires d’un billet de blog de MegaConnard, on retrouve aussi, au milieu d’autres insultes et actes de « trolling », un message négationniste publié sous le nom de du blog de R. A. avec un lien vers son site. Il n’est pas possible de vérifier si c’est bien lui qui l’a publié.
Laura Manach, consultante en réseaux sociaux, a elle été prise pour cible par Baptiste Fluzin, directeur créatif. Ce dernier a publié une vidéo dans laquelle il se moquait d’elle et de ses tweets sur une rupture. Jusqu’à ce week-end, elle avait « complètement effacé » ce souvenir de sa mémoire. Ce n’était pas vraiment par choix : plutôt un déni, estime-t-elle. Elle s’est aperçue samedi 9 février que la vidéo à l’origine de son harcèlement était toujours en ligne. « Elle a été supprimée dimanche », remarque Laura Manach qui se dit heureuse que « la lumière soit faite » sur la Ligue du LOL.
Parfois ce qu’il se passait dans la vie « réelle » se retrouvait également en ligne, comme en témoigne une journaliste anonyme qui a fréquenté certains de ces membres : « Ils s’échangeaient des photos de filles qui dorment, ou prises sans qu’elles ne s’en rendent compte. »
Usurpation d’identité, faux comptes et canulars
L’un des mécanismes mis au jour est l’usurpation d’identité. Le rédacteur en chef des Inrocks, David Doucet, a admis en avoir réalisé deux, après avoir été confronté publiquement par Florence Porcel, vidéaste science.
Contactée par Numerama, elle explique au téléphone avoir été prise pour cible « dès le début » où elle est arrivée sur Twitter, en juin 2009, sans vraiment savoir pourquoi. Elle raconte avoir reçu des insultes, de nombreux messages, d’un grand nombre de ces hommes qu’elle ne connaissait pas. Un jour de 2013 (soit quatre ans après son arrivée sur la plateforme) elle reçoit un appel alors qu’elle mange au restaurant. Un homme se présente et dit être Laurent Bon, le programmateur très célèbre de Canal+, notamment derrière le Grand et le Petit Journal. Il lui promet un poste. Elle est aux anges, malgré un pressentiment : « J’avais un léger doute, car ils me harcelaient déjà depuis des années, mais je ne pouvais pas laisser passer cette opportunité. »
Au bout du fil, il y a David Doucet, et il n’est pas seul. Il imite Laurent Bon, provoque les rires de certaines personnes autour de lui, que Florence Porcel n’entend pas. Puis l’enregistrement est mis sur Soundcloud et partagé sur Twitter sous le nom “Gérald Dahan piège Florence Porcel”. Pendant des années, le fichier reste en ligne, jusqu’à ce que la journaliste chroniqueuse publie des tweets dans lesquels elle parle de ce canular. L’usurpation d’identité qui va avec est un délit passible d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende. Le fichier Soundcloud est supprimé dans la foulée. David Doucet envoie un long mail à F. Porcel dans lequel il présente des excuses. Depuis, il affirme n’avoir réalisé que deux canulars dans sa vie.
Des personnes ont aussi usurpé l’identité de Matthias Jambon, se faisant passer pour lui pour aller insulter des amies féministes sur leurs blogs. « Je dois dire qu’ils faisaient preuve de pas mal de créativité », ironise celui qui a subi durant des mois un harcèlement massif.
David Doucet a admis avoir été à l’origine d’une cinquantaine de faux comptes de célébrités — il a même témoigné anonymement dans un article de Rue89 sur cette pratique « ancienne ».
Le goût du faux
Cette obsession pour les « faux » peut être résumée par une anecdote. En janvier 2011, quelques membres de la Ligue du LOL se lancent dans un nouveau projet : faire publier un faux article sur le site de MegaConnard, très lu à l’époque. Celui-ci finit par mettre en ligne un long texte d’une certaine « Jessicalifornia » une jeune femme créée de toute pièce par des membres de la ligue.
L’article est volontairement moqueur, laisse transparaître l’image d’une jeune femme très superficielle, un peu simple d’esprit et de petite vertu. À peine le billet est-il publié que de nombreux comptes commencent à débattre en commentaire… Certains se répondent même avec la même adresse IP. Pourtant Jessicalifornia n’existe pas. Il s’agit d’un « prank » organisé, dont nous pouvons assurer qu’au moins R. A. était au courant.
L’objectif semble être de se moquer de MegaConnard, mais aussi d’espérer que des internautes de l’époque tombent dans le panneau et viennent s’énerver à leur tour sur les propos de cette jeune femme… inexistante. Lorsque l’on observe la tribune de Jessicalifornia, on note qu’elle a été rédigée de sorte que la première lettre de chaque paragraphe épèle “LALIGUEDULOL.”
Interrogé en mai 2011 sur cette histoire, Megaconnard mentionne plusieurs journalistes de la Ligue du LOL et dit trouver cela « drôle ». Coïncidence ou très gros hasard ? Le nom Jessicalifornia a été utilisé pour créer une adresse mail reliée à un faux compte Twitter, lui aussi créé en 2011.
Le compte s’appelle Flore_Journalis et se fait passer, lui aussi, pour une jeune femme, cette fois niçoise, et proche du Front national. Elle y partage des slogans anti-immigration du Front national.
L’histoire de « La Lettre »
Les affaires de cyberharcèlement mentionnées auraient-elles pu être arrêtées plus tôt ? Une célèbre lettre circule depuis 2010 sur le sujet. Elle a été rédigée par trois personnes, qui avaient pour projet d’alerter les rédactions des médias et entreprises qui employaient à l’époque certains membres de la Ligue du LOL.
Florence Desruol est l’une des signataires. Au téléphone, la quadra (trentenaire à l’époque), qui s’est engagée en politique pendant la campagne de Nicolas Sarkozy, se souvient : « Je suis arrivée sur Twitter en 2009. J’ai tout de suite vu cette bande, menée par Glad et Hervaud. Ils m’ont immédiatement clashée. J’ai un caractère de leader, donc j’ai clashé celui que je considérais être leur leader : Vincent Glad ». Après des mois de conflits, elle accepte de rédiger une lettre « d’avertissement » avec Pascal Cardonna, un autre Twitto plus vieux, régulièrement moqué lui aussi.
Il y est notamment écrit : « Nous avons le regret de vous alerter sur les dérives importantes émanant de certains de vos collaborateurs. À travers de faux comptes sur le réseau Twitter, ils s’en prennent à notre intégrité, discréditent nos entreprises respectives, mettent en danger nos vies privées et transgressent la déontologie journalistique que (sic) nous est chère ».
Cette lettre n’est qu’un brouillon et contient de nombreuses erreurs factuelles, comme le fait que les personnes mentionnées auraient toutes étudié à l’école de journalisme de Lille (ESJ) ou met dans le groupe des personnes qui n’en ont pas fait partie. Avant qu’elle ne soit réécrite, elle est « interceptée » par (ou plutôt, envoyée à) des membres du groupe, qui la tournent en ridicule.
https://twitter.com/johanhufnagel/status/119627836297445376
« C’est comme ça que la lettre est devenue un mème », regrette aujourd’hui Florence Desruol. « Alors je suis partie de Twitter, je me suis protégée, j’étais en burn-out. Quand je suis revenue, ils m’ont fait passer pour une personne instable, qui serait allée en hôpital psychiatrique, alors que c’était faux. »
De l’autre côté de l’histoire, c’est un tout autre son de cloche. Florence Desruol est présentée comme une femme transie, qui aurait été amoureuse de Vincent Glad, et prête à tout pour le rencontrer. Au téléphone, elle confirme à Numerama avoir cherché à le joindre plusieurs fois et même appelé sa famille. « Je sais qu’on m’a présentée comme une amoureuse éconduite qui voulait se venger. »
« La victime n’est sans doute pas celle que je pensais.»
À l’époque, Johan Hufnagel est directeur de la rédaction de Slate, après avoir été à Libération. Lorsqu’il apprend l’existence de la fameuse lettre, il décide de soutenir son journaliste Vincent Glad. Mais accepte toutefois un appel téléphonique avec Florence Desruol. «Elle tenait un discours un peu décousu, ce qui semblait confirmer ce que je pensais », nous relate-t-il. « Est-ce que 10 ans plus tard, je penserais la même chose ? Non. Évidemment, la victime n’est sans doute pas celle que je pensais. »
Il affirme qu’il ne connaissait pas le groupe Facebook la Ligue du LOL, mais comprend les remarques qui soulèvent le climat d’entre-soi masculin. « Est-ce que j’ai joué un rôle passif là-dedans ? » s’interroge-t-il. « Est-ce qu’ils ont fait ça pour plaire au mâle dominant ? Ils n’avaient pas besoin de faire ça, donc je ne pense pas ». Il se reproche en revanche de ne pas avoir « relié les points entre eux », et fait le lien entre les signaux faibles.
Aujourd’hui, plusieurs de ces anciens rédacteurs en chef, ou personnes de pouvoir, sont mentionnées par des observateurs qui s’interrogent sur leur responsabilité à l’époque. Contactés, David Carzon (passé par 20 Minutes puis Arte TV) et Joël Ronez (anciennement au Mouv) ne souhaitent pas commenter l’affaire pour l’instant, mais précisent travailler « pour expliquer tous les mécanismes qui ont rendu ces agissements possibles » avec Binge Audio, la société de créations de podcasts qu’ils ont co-créée.
Des excuses et des conséquences
En l’espace de 72 heures depuis la sortie de l’article de Libération, un grand nombre de personnes dont les noms ont été révélés ont présenté des excuses, plus ou moins fournies et plus ou moins détaillées. Une caractéristique les rassemble : ils affirment majoritairement n’être « pas restés longtemps » au sein du groupe et font mention de « certains membres toxiques », sans que personne ne soit désigné comme le membre le plus actif ou « toxique ».
Joint par Numerama, Baptiste Fluzin reconnaît l’existence d’une vidéo moquant Laura Manach. Il explique ne pas l’avoir supprimée plus tôt parce qu’elle ne contenait selon lui aucune information personnelle permettant d’identifier la victime, et qu’il n’y « repensait pas tous les quatre matins non plus ». Il assure avoir présenté ses excuses à la consultante, et nie les accusations d’une autre personne (qui a souhaité rester anonyme) qui aurait également subi des insultes répétées de sa part. Son compte ayant été supprimé, il n’est plus possible de trouver de preuves. Nous avons seulement trouvé trois tweets moqueurs datés de 2010 à 2012.
David Doucet nie la création de faux comptes, les faux emails de recrutement ou des photomontages dégradants.
Desgonzo n’a pas souhaité s’exprimer.
Cyprien doute de la sincérité de ces excuses. « Ils essaient de se racheter une image, dit-il. Ils disent que Twitter c’était juste un espace pour bitcher, qu’on le faisait tous, mais c’est faux. Sur Twitter ce n’était pas comme ça. » Il ajoute que contrairement à ce qui a été dit, le harcèlement ne s’est pas arrêté en 2011. Il aurait reçu des messages des mêmes personnes jusqu’en 2014. « Ils adoraient la souffrance des autres, ajoute le youtubeur. Ruiner des carrières et ruiner des vies, c’était leur quotidien. »
Depuis vendredi 8 février, de nombreuses entreprises ont pris des décisions très fermes à l’égard d’anciens membres de ladite ligue. L’entreprise de podcasts Nouvelles Ecoutes a mis un terme à sa collaboration avec Guilhem M., ex « pornkid ». Brain Magazine a dit suspendre le travail de Vincent Glad, qui gérait leur Page Président. Lui et Alexandre Hervaud ont été suspendus à titre conservatoire du média Libération. Guillaume L. a été mis à pied par Usbek & Rica. Stephen des Aulnois, fondateur du site sur la culture porno Le Tag parfait, a annoncé son retrait du poste de rédacteur en chef. R. A. a été mis à pied par son employeur. Sylvain Paley a quitté la société Qualiter et le podcast Studio 404 s’arrêtera « après sa prochaine émission ». David Doucet a été mis à pied à titre conservatoire et une procédure de licenciement a été engagée. François-Luc D.*, rédacteur en chef adjoint des Inrocks, a également été mis à pied, est en mesure de confirmer Numerama.
Marie Turcan et Perrine Signoret
* Marie Turcan, co-autrice de ces lignes, a travaillé aux Inrockuptibles aux côtés de David Doucet, puis sous ses ordres, entre octobre 2013 et août 2016. Elle a travaillé aux côtés de François-Luc D. entre fin 2014 et août 2016.
Cet dernier paragraphe de l’article a été modifié pour remplacer, par une initiale, les noms de famille des personnes qui n’ont pas pris la parole publiquement sur le sujet et dont le nom ne ressortait pas à d’autres endroits de l’article. Nos explications en détail sont à lire ici.
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