Cet article a été modifié à la suite d’une demande dite de « droit à l’oubli » sur la base de l’article 17 du RGPD. Après avoir étudié cette demande, Numerama a procédé à l’anonymisation du requérant.
Depuis la publication d’un article de Libération les accusant de cyberharcèlement le 8 février 2019, plusieurs membres de la « Ligue du LOL » ont publié des explications ou des excuses en ligne. La Ligue du LOL était le nom d’un groupe Facebook, créé par le journaliste Vincent Glad, qui rassemblait une trentaine de journalistes, communicants, blogueurs, et qui a harcelé en ligne de nombreux internautes francophones.
En grand majorité, ceux-ci assurent aujourd’hui avoir ciblé aussi bien des femmes que des hommes, et n’avoir pas fait de différence entre eux. Numerama a montré dans une première enquête combien cette entreprise visait en effet large — d’autres articles ont également montré l’homophobie de certains actes.
La plupart des femmes ciblées par la Ligue du LOL ont quant à elle subi un harcèlement bien spécifique, sexiste, et parfois sexuel. Numerama révèle de nouveaux témoignages et preuves de la pression que subissaient certaines d’entre elles, piégées dans une atmosphère d’entre-soi minuscule, où Twitter ressemblait alors à « une chatroom géante ».
Des détails intimes révélés sur Twitter
Iris Gaudin, journaliste et blogueuse, a fait partie de ces femmes. Elle connaissait le créateur de la Ligue du LOL, Vincent Glad. Ils étaient dans la même école de journalisme, l’ESJ, à une promo d’écart, et ils avaient eu ensemble une relation intime.
Un jour, après un café pour discuter d’une émission télévisée sur Twitter qu’il voulait lancer, Vincent Glad invite Iris Gaudin à rejoindre le réseau social. Elle accepte. Elle se souvient qu’il lui aurait conseillé de se présenter en jouant sur le terme de « salope », en référence à une interview menée par la journaliste quelques temps plus tôt, dans laquelle l’acteur Gérard Depardieu la traite ainsi. [ce paragraphe a été modifié, voir nos explications ci-dessous**]
Dans les jours qui suivent, Iris Gaudin commence à recevoir des tweets, écrits depuis des comptes anonymes. Ils lui envoient des messages à caractère sexuel : « Ils décrivaient des parties intimes de mon corps, avec beaucoup de précision », se souvient-t-elle. La journaliste envoie un message à Vincent Glad, et lui demande si c’est lui qui est derrière ces comptes. « Il m’a répondu que non, que j’étais complètement folle et qu’il n’était pas du tout au courant », raconte-t-elle à Numerama.
Des membres de la ligue du LOL comme le journaliste Alexandre Hervaud s’en mêlent. Dans un tweet toujours en ligne, il invite des comptes anonymes, dont au moins un a été relié à des membres de la Ligue, à « payer une bonne bière » à Iris Gaudin, en la mentionnant. Un lien partagé renvoie vers la photo d’un sexe féminin dans lequel est inséré une canette de bière. Interrogé à ce sujet par la victime de harcèlement, Vincent Glad lui aurait répondu qu’elle « n’avait pas d’humour ».
Un compte parodique nommé « jesuisunesalope » est aussi créé. Il mentionne régulièrement Iris Gaudin en se moquant d’elle, il se fait passer pour elle, ou se moque tantôt de ses tweets. « Ce compte servait à me ridiculiser », résume la journaliste et blogueuse.
Un autre compte anonyme, @foutlamerde, a servi à harceler sexuellement Iris Gaudin. Elle y était qualifiée de « poupée », de « coquine », de « putain de cougar en puissance ». Vincent Glad a reconnu avoir été l’une des personnes derrière ce compte à 20 Minutes.
Ce harcèlement sexuel a duré deux ans, entre 2010 et 2011, durant lesquels on l’a aussi avertie sur le fait que des images intimes d’elle circulaient – elle n’en a jamais eu la preuve. Il s’est ensuite largement atténué, à peu près au moment où des membres ont trouvé un emploi dans des grandes entreprises. Contacté par Numerama, Vincent Glad, qui était « tagué » sur certaines publications insultantes, affirme qu’il ne savait pas que des comptes anonymes avaient harcelé sexuellement Iris Gaudin en dévoilant des détails de son anatomie.
Avoir des relations avec un des membres de la Ligue du LOL revenait-il à s’exposer au risque de voir des photos ou détails intimes circuler ? C’est une question que se pose aujourd’hui Camille, la femme derrière le compte Twitter @yelling__.
« Si tu n’étais plus sexuée, tu n’existais plus »
« À l’époque de Twitter, il n’y avait pas de notions de regard, il n’y avait que nous. Tout était public, c’était comme une chatroom géante. Il n’y avait pas de limite. J’entends parler de photos volées et aujourd’hui je me demande ce qu’il s’est échangé sur moi », explique celle qui a eu une relation avec l’un des membres de la Ligue du LOL. Aujourd’hui, elle est encore marquée par tout ce qu’il s’est passé.
Elle souligne combien certains membres cessaient de parler à quelques femmes dès qu’ils apprenaient que celles-ci étaient en couple. « Les filles ciblées, c’était des célibataires. À partir du moment où je me suis mise en couple, j’étais devenue une ‘darone’. Si tu n’étais plus sexuée, tu n’existais plus.»
« Il m’a fait croire qu’il avait le SIDA »
La blogueuse Capucine Piot a également été l’une des cibles privilégiées de la Ligue. Parmi les insultes et commentaires dégradants qui la visaient, on trouve de nombreuses références à ses organes sexuels ou à des pratiques sexuelles.
Des comptes anonymes, parmi lesquels @foutlamerde, l’ont également harcelée. L’un d’entre eux se vantait d’avoir en sa possession une photo de la poitrine de Capucine Piot.
Ce même compte a harcelé sexuellement d’autres femmes.
Capucine Piot raconte par ailleurs sur Twitter avoir eu une relation avec l’un des membres de la ligue, R. A.. « Il m’a fait croire qu’il avait le SIDA pour me faire peur et me laisser penser que je pourrais l’avoir, accuse Capucine Piot. Je me suis retrouvée tremblante, à faire les examens médicaux nécessaires. Pendant ce temps-là la traque en ligne continuait ».
Certaines femmes victimes du harcèlement de la Ligue du LOL ont eu, ou failli avoir des relations intimes avec un membre du groupe. Qu’elles y consentent ou qu’elles s’y refusent, le résultat était le même : le harcèlement, d’elles ou de proches.
Matthias Jambon nous racontait ainsi dans notre précédent article sur le sujet que son harcèlement avait commencé en 2011. Il s’était rendu au salon du livre avec une amie journaliste. Cette dernière avait été approchée par R. A., mais avait refusé d’avoir une relation sexuelle avec lui. R. A. les avait vus au salon du livre et aurait pensé que Matthias Jambon avait séduit la journaliste. Le lendemain, Matthias Jambon était suivi par la quasi-totalité des membres de la Ligue du LOL sur Twitter. « On m’a dit c’est ton tour », se souvient-il au téléphone. Les premières insultes sont tombées 48 heures plus tard.
Des photos intimes volées et partagées publiquement
Au cours de notre enquête, nous avons retrouvé sur Twitter des traces de l’existence d’un compte, depuis supprimé, intitulé @TwitpicDeSeins, le « compte où tu ne veux pas voir ta petite sœur », comme le décrivait Vincent Glad dans un tweet en 2010. Dans un message public, il dit avoir « inventé » la notion de « photo de sein » et mentionne le compte en question, qui partageait de nombreuses photos de décolletés ou de seins nus. Interrogé par Numerama, il nie en être à l’origine. Le « on » désignerait Twitter ou les internautes, mais pas lui, ou la Ligue du LOL…
Numerama a constaté que de nombreux membres de la Ligue du LOL échangeaient des photos en mentionnant ce compte. C’était également le cas d’autres membres de Twitter à l’époque. David, un journaliste que nous avons interrogé et qui ne faisait pas partie de ce groupe, avait lui aussi publié plusieurs photos des décolletés de ses amies en soirées. Il insiste sur le fait que c’était avec leur accord : « Il y avait des filles qui envoyaient directement [des photos] » souligne-t-il. Deux femmes concernées nous ont confirmé cette version des faits.
Une autre femme qui avait consenti à ce qu’une photo de ses seins soit prise lors d’une soirée ne s’en souvenait tout simplement pas. Ce n’est qu’après avoir contacté l’homme qui avait pris la photo qu’elle nous a indiqué : « Ce n’était pas très malin mais ce n’était pas dans mon dos.»
À l’époque en 2009, de nombreuses femmes mettent en ligne volontairement des décolletés (souvent), ou plus (parfois). Elles sont nombreuses à expliquer, aujourd’hui, combien l’ambiance était différente et qu’elles ne se méfiaient pas. Nombreuses, aussi, à culpabiliser d’être entrée dans ce « jeu » sans comprendre qu’elles étaient, à un autre endroit, tournées en ridicule pendant des mois ou des années. « Quand Vincent Glad a parlé de mes seins à l’époque, le pire, c’est que j’ai dû être contente », nous explique Camille (@yelling), contactée au téléphone.
Plusieurs images qui circulent ne sont pas restées que sur Twitter. On retrouve la mention de Capucine Piot à plusieurs reprises, par exemple, sur le réseau social mais aussi dans le Pearltree qu’archivait Vincent Glad à l’époque, et qu’il nous a confirmé utiliser pour « compil[er] les contenus qui [le] faisaient rire à l’époque sur Twitter ».
Un des montages archivé que nous avons retrouvé utilise une des photos dénudées de la jeune femme. Elle est superposée à des chats vidéo anonymes de groupe. Il est difficile de savoir si c’est une capture d’écran qui a été modifiée ou non. Nous avons flouté la photo dénudée.
Cette photo avait été partagée notamment par le compte Twitter @foutlamerde.
Certaines photos se sont échangées sans le consentement des femmes concernées. L’une d’entre elles nous raconte qu’elle avait bien publié des photos dénudées sur son compte, mais qu’elle n’avait pas donné l’accord pour les partager. On les retrouve pourtant sur des tweets, dont des tweets de @foutlamerde.
La journaliste Melissa Bounoua (qui a notamment travaillé chez Slate et au podcast Studio 404, dont l’équipe a annoncé arrêter la diffusion) en a aussi fait les frais avec deux images. En 2009, d’abord, une photo d’elle en robe avec un décolleté plongeant a beaucoup circulé. Elle l’avait elle-même partagée une fois sur Twitter : « À l’époque, je n’avais aucune conscience de tout ça », nous explique-t-elle par écrit.
La deuxième est encore plus grave. En 2010, elle a pris en photo sa poitrine et l’a envoyée l’image à son petit-ami de l’époque en message privé sur Twitter. Le lendemain matin, l’URL de la photo avait été rendue publique par un compte anonyme, et tout le monde l’avait vue. Si elle l’a supprimée dans la foulée, la journaliste garde un souvenir amer, certaine que ce n’est pas son ami qui avait publié l’image.
Des flux RSS pour dénicher des photos Twitter privées
Comment l’image a-t-elle pu fuiter ? Aux débuts de Twitter, les photos mises en ligne étaient automatiquement transformées en URL en twitpic.com, la plateforme d’hébergement du réseau social. Or il était possible de s’abonner aux comptes TwitPic sous forme de flux RSS et donc « d’aspirer » automatiquement les photos publiées par les comptes. À ce jour, Melissa Bounoua est persuadée qu’il s’agit de la méthode qui a été employée pour récupérer cette photo privée, envoyée en message privé. « Je n’en ai parlé personne à l’époque ne sachant pas, ne voulant pas investiguer plus. Je n’osais pas et j’étais gênée », nous explique-t-elle.
Aujourd’hui, cette faille de Twitter n’est plus exploitable. Il n’est pas possible de savoir combien d’images publiées dans des conversations privées ont ainsi été espionnées, et pendant combien de temps.
Des femmes inquiètes et des conséquences à vie
Iris Gaudin a dû fuir Twitter plusieurs fois (elle appelle cela des « tweetsuicides »), malgré le fait qu’elle jugeait le réseau social important pour faire parler de son travail. Elle a changé de pseudonyme, s’est absentée quelques mois avant de revenir. « J’ai même pensé à un moment qu’il s’agissait d’une sorte de bizutage ; alors j’ai fait des blagues à la con, pas méchantes mais idiotes. C’était avant que je me rende compte que je n’étais qu’une cible », se souvient Iris Gaudin, qui a mis des années à s’en remettre.
« Si ces mecs retweetaient une blague, un bon mot, un lien qu’on postait, on se sentait validées » abonde Camille (@yelling__). « Ils nous validaient ou nous invalidaient. Évidemment, le but c’était qu’ils nous valident et on plongeait tête baissée en disant surtout des conneries. Parce que je n’ai pas souvenir qu’ils retweetaient les choses intelligentes que l’on disait. Du coup on disait de la merde, sur nous-même et sur les autres. Quand j’y repense aujourd’hui, ça me tétanise.»
Une autre victime nous a confié avoir elle aussi tenté de « copiner » avec les personnes qui retwittaient des photos dénudées d’elle sans son consentement. Elle espérait ainsi qu’ils ne s’en prendraient pas davantage à elle.
Aujourd’hui, Iris Gaudin se souvient de « l’emprise » et la « fascination » qu’elle éprouvait malgré elle pour certains membres de la Ligue du LOL. Elle se souvient aussi que « leur but était de nous enlever toute dignité ». Et qu’ils faisaient ce « travail » à une échelle « quasi-industrielle ».
Pour Mélanie Wanga, journaliste qui a subi des attaques sexistes et racistes sur Twitter mais aussi sur son blog personnel, ce groupe a contribué à certains membres de prendre de la place au sein d’un certain nombre de médias parisiens, tout en excluant de-facto celles et ceux qui n’étaient pas dans leur bande. « Je me suis demandée pourquoi je m’infligeais ça », explique-t-elle dans le podcast Programme B. « Pourquoi je vais sur un réseau où je sais qu’il y a des mecs qui m’attendent en sniper au coin de la rue pour me tomber dessus et me balancer des trucs crypto-racistes en permanence. Et ce n’est pas anodin de se dire ça, en tant que jeune journaliste : ‘je vais quitter Twitter’, alors que c’est un outil indispensable. » Contactée par Numerama, une autre journaliste résume : « Soit tu étais avec eux, soit tu étais contre eux.»
Marie Turcan et Perrine Signoret
** Cet article a été modifié le 22 juillet 2021 après avoir pris connaissance d’une interview d’Iris Gaudin sur le plateau d’Arrêt sur Images du 28 février 2020. Le texte de l’article faisait à l’origine mention d’un tweet dans lequel Vincent Glad l’aurait traitée de « salope ». Un an après avoir raconté cette histoire à Numerama, Iris Gaudin est revenue sur cette partie de son témoignage, expliquant au cours de l’émission que ce tweet « n’existe pas », « C’est moi qui ait témoigné, elle [la journaliste de Numerama] a recueilli mon témoignage », l’entend-on dire.
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