Vous faites partie des fidèles auditeurs ou auditrices d’Europe 1 qui ont, au moins une fois, appelé le standard ? Peut-être avez vous été fiché. Mediapart a révélé dimanche 24 février l’existence d’un rapport secret de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil). Il révèle comment le média a consigné pendant des années des informations personnelles sur ses auditeurs.
Des informations sur les origines ou l’orientation sexuelle
La station de radio Europe 1 fichait les auditeurs qui appelaient à son standard pour réagir à une émission ou poser une question. Des informations très personnelles, avérées ou supposées par le personnel du standard, étaient inscrites dans les fichiers.
Il y avait tout d’abord les noms et prénoms des auditeurs, leur profession, numéro de téléphone, et la qualité de leur élocution.
Mais on trouvait aussi, indique Mediapart, des données bien plus problématiques sur leurs origines, leur état de santé ou même leur orientation sexuelle présumée. Des commentaires insultants étaient parfois ajoutés. Au total, plus d’un demi-million de personnes ont été fichées.
Un fichage mené entre 2002 et 2016
La Cnil avait commencé à enquêter sur le sujet en juillet 2016. Elle s’était intéressée à la manière dont les membres du standard évaluaient la « qualité » des auditeurs de 2002 à 2016. Ce procédé est commun en radio : il s’agit de trier les questions afin de ne sélectionner que celles qui sont bien en rapport avec le sujet traité, ou d’éviter les « trolls ».
Chez Europe 1, jusqu’à une fiche par minute peut ainsi être rédigée sur les auditeurs en période d’actualité intense. Elles sont enregistrées dans un logiciel, en interne dans l’entreprise. Ce logiciel permet aussi aux présentateurs d’une émission de sortir de l’antenne un auditeur qui dérape.
La Cnil avait rédigé en 2017 un rapport édifiant. On y lit notamment des commentaires sur les origines ou l’état de santé comme « arrêt maladie, traitement pour un cancer », « accent du Maghreb, pas toujours claire, bavarde, a besoin de parler de son cancer » ou « il est homo ». Par ailleurs, 483 fiches contenaient des informations qui concernaient plutôt la qualité et le contenu de l’appel, et non l’identité des personnes. Ces commentaires sont parfois insultants, comme l’homophobe « voix de vieille pédale ! » ou « connard qui nous a déjà bien fait chier ».
Un rapport resté secret grâce aux efforts d’Europe 1
Selon la Cnil, les commentaires étaient « non adéquats » et le fichage mené chez Europe 1 était « excessif ». La commission l’estime contraire à la loi, qui interdit de recueillir certains types de données sans le consentement préalable des personnes concernées. C’est le cas pour les données sur la santé, l’orientation sexuelle, l’appartenance religieuse ou les origines raciales ou ethniques.
Collecter ces données sans avoir obtenu le consentement nécessaire est passible de poursuites, et punissable. L’amende peut atteindre 1,5 million d’euros.
Pourtant, le rapport de la Cnil est resté secret. La justice, précise Mediapart, n’a pas été saisie de l’affaire, si bien qu’Europe 1 n’a jamais été sanctionné pour les faits énoncés ci-dessus. La Cnil l’explique par les efforts faits par la radio suite à la rédaction de son rapport. Les bases de données qui contenaient des informations recueillies entre 2002 et 2016 ont été nettoyées et un mail a été envoyé aux équipes responsables du fichage pour les renseigner sur les bonnes pratiques à adopter.
Des listes noires d’auditeurs
La direction de la radio ainsi que les membres du standard téléphonique ont assuré qu’ils n’étaient pas au courant de la durée de conservation des données personnelles. Ils plaident une erreur technique. Europe 1 a par ailleurs affirmé que les données n’étaient pas utilisées dans le but de discriminer des personnes. La Cnil avait pourtant découvert l’existence d’une « liste noire » d’auditeurs qui étaient systématiquement privés d’antenne.
De telles listes noires sont légales mais uniquement sous certaines conditions : il faut qu’elles se basent sur des motifs objectifs, qu’elles ne soient pas à durée illimitée et que la personne concernée soit mise au courant et puisse contester les faits. Ce n’était visiblement pas le cas pour les auditeurs d’Europe 1, dont certains ont continué à appeler le numéro surtaxé du standard de la radio dans l’espoir de passer un jour à l’antenne…
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