À quelques semaines du vote qui décidera de l’avenir de la proposition de directive sur le droit d’auteur dans l’Union européenne, très controversée en raison de deux articles, une voix pourrait peser dans le débat, au moment où le texte entre dans sa dernière ligne droite.
Surtout lorsque l’on se prévaut du titre de rapporteur spécial des Nations unies pour la promotion et la protection de la liberté d’opinion et d’expression.
Lundi 11 mars, David Kaye a mis en garde les États membres de l’Union européenne sur les conséquences potentiellement funestes qu’aura cette réforme sur les droits des individus. C’est tout particulièrement l’article 13 qui préoccupe cet Américain, en poste depuis août 2014. Cet article prévoit un système de filtre par algorithmes devant bloquer les contenus enfreignant le droit d’auteur, avant même leur mise en ligne.
« L’article 13 de la directive proposée semble destiné à inciter les plateformes à surveiller et à restreindre le contenu généré par les utilisateurs, même au moment de la mise en ligne. Une telle pression en faveur d’un filtrage préalable à la publication n’est ni une réponse nécessaire ni proportionnée à la violation du droit d’auteur sur Internet », considère David Kaye.
Des exemptions insatisfaisantes
Certes, la directive envisagée contient des dispositions qui permettent d’exempter des plateformes (comme les encyclopédies sans but lucratif ou les sites dédiés au développement et au partage de logiciels libres), mais elles ne concernent en fait qu’un nombre limité de services. L’article 13 va ratisser assez large, y compris du côté des petites plateformes, si elles sont une relative ancienneté.
En fait, « la plupart des plateformes ne pourraient pas bénéficier de l’exemption et seraient soumises à une pression juridique pour installer et entretenir une infrastructure de filtrage de contenu coûteuse afin de se conformer à la directive », analyse le rapporteur spécial. « À long terme, cela mettrait en péril l’avenir de la diversité de l’information et du pluralisme des médias en Europe, puisque seuls les plus grands acteurs seront en mesure de se permettre ces technologies », prévient-il.
Risques sur les exceptions au droit d’auteur
David Kaye s’inquiète notamment de la capacité de ces filtres à respecter les exceptions au droit d’auteur, comme les parodies, les caricatures et les pastiches, mais aussi le droit de courte citation ou le droit à l’analyse, par exemple dans le cadre d’une critique, d’un cours, d’un travail universitaire ou d’une actualité. En France, ces exceptions sont contenues dans l’article L122-5 du code de la propriété intellectuelle.
« Même les juristes les plus expérimentés ont du mal à distinguer ce qui relève d’une violation des règles du droit d’auteur d’une exception à ces règles, qui varient d’un État membre à l’autre », relève David Kaye. Comment des plateformes en ligne, qui sont par nature transfrontalières, y parviendraient ? Les filtres risquent d’enchaîner les faux positifs, faute pour eux de distinguer ce qui est permis de ce qui ne l’est pas.
« Même les juristes les plus expérimentés ont du mal à distinguer ce qui relève d’une violation des règles du droit d’auteur d’une exception à ces règles »
« Une confiance mal placée dans les technologies de filtrage pour faire des distinctions nuancées entre les violations du droit d’auteur et les utilisations légitimes de contenu protégé augmenterait le risque d’erreur et de censure. Qui supporterait le poids de cette pratique ? En général, ce sont les créateurs et les artistes qui n’ont pas les moyens de plaider de telles revendications », conclut-il.
Dans son propos, qui n’est pas le premier sur ce sujet — le rapporteur spécial avait déjà signé en 2018 une lettre ouverte contre la directive –, David Kaye ne conteste évidemment pas le droit aux États de moderniser leur cadre juridique en matière de propriété intellectuelle. « Mais cela ne doit pas se faire au détriment de la liberté d’expression dont jouissent aujourd’hui les Européens », dit-il.
La fin ne justifie pas les moyens.
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