La justice a-t-elle raison d’interdire la pose du compteur communicant Linky chez les personnes qui disent souffrir de leur hypersensibilité aux ondes, alors qu’aucun lien de causalité n’a pu être établi jusqu’à présent ? Car c’est le jugement qu’a rendu le 20 mars le juge des référés du tribunal de grande instance de Toulouse : il a autorisé des plaignants à refuser son installation pour raison médicale.
L’affaire est rapportée par l’AFP. Dans le cadre d’une action collective, qui a été déboutée pour l’essentiel par la justice, le tribunal « a ordonné à Enedis de faire en sorte que l’électricité ne soit pas distribuée » avec un système de courant porteur en ligne présent dans Linky. Cela concerne 13 personnes, qui ont produit un certificat médical attestant de leur hypersensibilité électromagnétique.
Pour 150 autres plaignants qui ont axé leur stratégie sur leur droit à la protection de leur vie privée, le tribunal n’a pas donné suite. Il s’agit là du deuxième reproche qui est fait au compteur Linky : ses relevés qu’il envoie au fournisseur d’électricité pourraient indiquer la présence de personnes dans un foyer et les activités qui y ont lieu, presque en temps réel, selon le rythme des transmissions.
Il convient toutefois de noter qu’une décision en référé n’est pas un jugement au fond. La procédure du référé sert en effet à demander des mesures provisoires afin de régler des cas urgents, même s’il y a des doutes. C’est ce que dit l’article 809 du Code de procédure civile : « Le président peut toujours, même en présence d’une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ».
Le jugement au fond pourrait donner lieu à une toute autre décision de justice.
Une cause psychologique ?
Dans cette affaire, il ne s’agit pas de remettre en cause le mal être des personnes qui se déclarent en souffrance. C’est son origine qui est questionnée. Dans la mesure où il n’y a pas de preuve scientifique montrant que les ondes sont en cause, il est possible que cette intolérance soit de nature psychosomatique : savoir ou croire que l’on se trouve dans un champ électromagnétique provoque une réaction anormale du corps.
Un exemple de ces troubles psychiques ayant une influence sur le corps est donné par le professeur de sociologie Gérald Bronner dans son ouvrage, La démocratie des crédules. Il y raconte qu’en 2009, des habitants de Saint-Cloud se sont plaint à Orange pour la pose de trois antennes près d’une résidence. Selon les plaignants, des effets se font ressentir chez certaines personnes comme des maux de tête, des saignements de nez, une impression de goût métallique dans la bouche.
Or, il s’est avéré que les baies électroniques de traitement du signal n’étaient pas encore installées et que le raccordement au réseau électrique n’avait pas encore eu lieu. Pour le dire autrement, ces antennes accusées de tous les maux étaient à ce moment-là hors service. Étant inactives, elles n’émettaient de fait pas la moindre onde. C’était alors une épidémie de symptômes ressentis, non un problème sanitaire.
La science n’a pas vu de lien avec les ondes
En 2005, l’OMS décrivait ce problème comme une « intolérance environnementale idiopathique », c’est-à-dire une phénomène dont on n’a pu attribuer la cause. Les symptômes « restent non expliqués sur le plan médical », mais « les effets sont préjudiciables pour la santé des personnes ». Une vaste littérature scientifique a été produite, sans toutefois mettre le doigt sur la nature du problème.
Dans un rapport et un avis sur ce phénomène parus fin mars 2018, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES) dit avoir consulté « l’ensemble de la littérature scientifique disponible » et conduit « un grand nombre d’auditions » : des praticiens (généralistes comme hospitaliers), des scientifiques, des associations et des individus se disant électrosensibles.
« Aucune preuve expérimentale solide ne permet actuellement d’établir un lien de causalité »
Il ressort de ce travail qu’aucune hypothèse de recherche analysée pour interpréter ces symptômes ne s’est avérée probante. « Au final, aucune preuve expérimentale solide ne permet actuellement d’établir un lien de causalité entre l’exposition aux champs électromagnétiques et les symptômes décrits par ces personnes », lit-on dans le rapport.
Cela étant, l’ANSES considère que ce dossier n’est pas à refermer: les travaux de recherche doivent continuer — sait-on jamais. En outre, il reste quand même à proposer une aide adéquate pour celles et ceux qui se disent sincèrement affectées. Car pour l’heure, elles se trouvent dans une « errance médicale ».
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