De toute l’histoire du droit d’auteur, il est une constante : l’augmentation régulière de la durée de protection. Elle est passée de 14 ans renouvelable une fois après la création de l’œuvre avec le Statute of Anne de 1710 (la première loi sur le droit d’auteur dans le monde) à au moins 50 ans après la mort du créateur avec la convention de Berne (en Europe, c’est 70 ans post-mortem). Or cette durée est une variable fondamentale qui doit être appréciée avec grande précaution. Elle est le fruit d’une construction mentale aussi bien philosophique qu’économique et sociale.
Pendant toute la durée de protection des droits, l’auteur de l’œuvre et les titulaires de droits voisins (producteurs, artistes-interprètes…) jouissent de droits exclusifs qui, comme leur nom l’indique, excluent le public de la jouissance de l’œuvre, sauf à monayer une autorisation. Or le droit d’auteur est d’abord un contrat social passé entre la société et les créateurs. La société souhaite disposer d’œuvres artistiques pour s’épanouir, et les créateurs souhaitent pouvoir vivre de la création de ces œuvres. Il a donc été décidé d’octroyer un monopole temporaire pendant lequel l’auteur pourrait monayer la diffusion et l’exploitation de son œuvre, le temps de la rentabiliser pour en créer une autre. La société attendrait que l’œuvre passe dans le domaine public, après expiration du monopole, pour en jouir pleinement et sans frais supplémentaire. En attendant, les plus aisés dans la société aiderait l’auteur à vivre de sa création.
Or en repoussant toujours plus loin le temps de passage au domaine public, le législateur repousse d’autant le bien être de la société et dans une certaine mesure l’encouragement à la création. Un auteur qui dispose d’une rente à vie sur une œuvre à succès n’est pas encouragé financièrement à créer une nouvelle œuvre pour le bien de la société.
Durée rationnelle contre dureté du lobbyisme
Sur ces bases, le chercheur Rufus Pollock a mis au point des équations complexes (.pdf) pour calculer la durée optimale de protection des œuvres, là où les courbes du bien-être de la société et du bien-être des artistes se croisent en leur plus haut point. Après avoir posé les bases théoriques de son calcul, cet étudiant de Cambridge a pris en compte les données chiffrées à sa disposition pour calculer que la durée optimale de protection serait autour de 14 années après la création de l’œuvre. Soit deux fois moins que la durée maximum fixée en 1710 par le Statute of Anne. Pour comparaison, on considère qu’une œuvre est aujourd’hui protégée entre 70 et 120 ans après sa création, en fonction de l’âge de son auteur.
Le fait que la durée optimale calculée soit inférieure à celle prévue dans la première loi sur le droit d’auteur n’est pas tout à fait un hasard. Dans son mémoire, Pollock explique que la durée de protection doit baisser à mesure que le stock d’œuvres disponibles augmente. En 1710, il fallait construire une base culturelle à diffuser à travers l’Angleterre. En 2010, la société dispose déjà de millions d’œuvres créées de longue date, fixées et distribuées maintenant numériquement. Il faut moins de nouvelles œuvres pour assurer le même bien être social, explique en substance le chercheur. De plus, les nouvelles technologies baissent considérablement les coûts de production et de diffusion des œuvres, et donc le seuil de rentabilité.
Pollock encourage donc les législateurs à ne pas étendre la durée de protection des droits et même à commencer à les réduire progressivement pour les nouvelles œuvres. Encore faut-il qu’il puisse être entendu. Comme le note lui-même le britannique, « le niveau de protection n’est en général pas déterminé par un législateur bienveillant et rationnel, mais plutôt par le lobbying« . Il se trouve de fait beaucoup moins de lobbyistes à demander un abaissement de la durée de protection que de lobbyistes intéressés par une durée de protection toujours plus forte : maisons de disques, studios de cinéma, presse écrite, éditeurs de livres, éditeurs de logiciels, créateurs de bases de données, dessinateurs, chorégraphes, compositeurs, architectes, etc., etc.
Cette divergence entre l’intérêt général rationnel et l’intérêt particulier protégé par les lobbys n’est cependant pas une exclusivité du droit d’auteur. Les associations de protection de l’environnement en savent quelque chose. Elles, en revanche, ont commencé depuis longtemps à s’organiser pour résister.
(merci à Kraftonz pour l’information)
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