A peine partie en vacances, Christine Albanel doit déjà plancher sur ses devoirs d’été. Elle a reçu hier de la part de Nicolas Sarkozy sa précieuse lettre de mission qui doit déterminer la conduite de sa politique culturelle à la tête du ministère de la rue de Valois. Mme Albanel doit d’abord « mettre en œuvre la démocratisation culturelle« , ce qui passe par l’éducation culturelle à l’école, le renforcement de l’idendité de France Télévision et de Radio France, la possible gratuité des musées nationaux (après opérations pilotes) et une meilleure redistribution des aides publiques. Mais dès après cette mission essentielle intervient la nécessité de « conduire dans les plus brefs délais un plan de sauvetage de l’industrie musicale« .
Le terme « sauvetage » n’est pas neutre. Le sauvetage c’est, nous dit le dictionnaire, « l’action de sauver des personnes d’un danger, de préserver des choses de la destruction ». Faut-il qu’il y ait péril en la demeure pour que le Président de la République juge nécessaire d’employer ce mot chargé de sens.
Or qui cherche-t-on à sauver de la destruction ? S’agit-il effectivement de l’industrie musicale, ou plus restrictivement de l’industrie de l’enregistrement musical ? Faut-il rappeler que l‘ensemble des secteurs de l’industrie musicale sont en progression, à la seule exception des acteurs dont le métier principal repose sur l’enregistrement des œuvres, les maisons de disques et les disquaires ? Les professionnels du spectacle vivant (les concerts), les vendeurs d’instruments de musique, l’édition musicale, la radio… tous font partie de l’industrie musicale et tous se portent mieux aujourd’hui qu’il y a 10 ans. Comme le disait récemment le consultant britannique Andrew Dubber, il y a quelque chose de risible dans le fait de voir les maisons de disques prétendre représenter à elles seules toute l’industrie musicale. Elles sont la partie la plus visibile, mais pas la plus importante. « C’est comme si le lion prétendait être le zoo », écrivait Dubber.
Cette volonté de Nicolas Sarkozy d’organiser un « plan de sauvetage » de l’industrie musicale (des maisons de disques, en fait) est aussi visionnaire que si le gouvernement de l’époque avait organisé un plan de sauvetage des allumeurs de réverbères lorsque l’électricité les a mis au chômage.
Un plan de sauvetage en trois piliers
« Plan de reconversion », « plan d’adaptation », « plan d’épargne retraite » auraient été des termes plus adaptés. Mais Sarkozy demande, « plus largement, [un plan] de protection et de promotion des industries culturelles couvertes par les droits d’auteur et les droits voisins ». Avec trois piliers :
- La montée en puissance d’une offre numérique diversifiée, bon marché et simple d’utilisation ;
- La prévention et la répression de la piraterie numérique ;
- L’aide à l’adaptation des structures et des modèles économiques des industries concernées.
Dans le détail, « la chronologie des médias doit poursuivre son adaptation », « l’interopérabilité [doit être] une priorité majeure », et « vous inciterez les titulaires de catalogues à numériser leurs œuvres et à les distribuer sur tous les supports », demande-t-il à Christine Albanel. La lettre de mission à Renaud Donnedieu de Vabres ne devait pas dire autre chose.
Avec tout de même pour Mme Albanel un chantier visiblement très important pour le président nouvellement élu : « recherch[er] les voies et moyens pour conclure un accord interprofessionnel permettant de dissuader efficacement et de réprimer la contrefaçon de masse« . Nicolas Sarkozy a déjà débrouissaillé le terrain en mettant en place une commission de travail à laquelle participera Denis Olivennes, le président de la Fnac. « Les solutions techniques existent, elles doivent être expérimentées et mises en œuvre« , écrit le Président dans une formule qui pourrait être copier-collées d’une lettre de lobbyiste de la SACD. Il faut s’attendre dans les prochains mois à voir arriver l’obligation faite aux FAI par accord interprofessionnel (donc non censurable par le Conseil Constitutionnel ou le Conseil d’Etat) de filtrer les réseaux P2P et/ou de désactiver l’accès à Internet aux abonnés qui n’obtempèrent pas aux lettres de préavis lorsqu’ils sont pris en flagrant délit de téléchargement.
Le Président ne souhaite visiblement pas s’en tenir à la simple loi DADVSI, pourtant déjà très contestée, puisqu’il demande aussi « à partir d’un bilan de la loi DADVSI, [de préparer] enfin les prochaines échéances législatives et communautaires« . Comprendre, proposer et appliquer de nouvelles lois répressives en faveur des industries culturelles et contre le public. « Notre pays doit être en position pionnière en Europe pour la défense des droits, la diffusion de contenus numériques, la promotion de l’interopérabilité et la responsabilité des acteurs de l’Internet« , écrit-il.
Au chapitre des bons points, on notera tout de même que « la révolution numérique doit être l’occasion de conduire un public toujours plus nombreux vers le patrimoine culturel français et de langue française, et vers la création contemporaine« . « L’Etat peut l’encourager par la mise à disposition gratuite, sur Internet, du patrimoine public ou financé par des fonds publics, et par l’incitation à la diffusion numérique croissante de contenus culturels privilégiant des solutions innovantes, interactives et éducatives« , lit-on dans la lettre de mission.
Faudra-t-il toutefois ainsi dresser une ligne Maginot entre le secteur public accessible à tous et les œuvres du secteur privé accessibles uniquement à ceux qui payent et qui peuvent payer ? Ces dernières représentant de fait l’essentiel de la production culturelle en France, on peut s’inquiéter d’une politique culturelle qui surprotègerait le secteur privé et donnerait en compensation les miettes d’un secteur public en crise.
Nicolas Sarkozy le disait pourtant lui-même en introduction de la lettre de mission : « notre politique culturelle est l’une des moins redistributives de notre pays. Financée par l’argent de tous, elle ne bénéficie qu’à un tout petit nombre« .
Puisse-t-elle, en matière de musique en ligne au moins, ne pas bénéficier qu’aux seules majors de l’industrie du disque.
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