Le décalage pourrait prêter à sourire s’il n’était pas le symbole d’une plus large discrimination.
Des confettis de toutes les couleurs, un drapeau arc-en-ciel, un hommage aux émeutes de Stonewall… la nouvelle bannière créée par Google est censée donner une visibilité aux personnes LGBT+ et à leurs luttes pour faire valoir leurs droits. Cette bannière, lancée pour le Mois des fiertés (célébré en juin, beaucoup plus aux États-Unis qu’en France), a été accolée à toutes les recherches liées au champ lexical LGBT+ : gay, queer, homosexuel, transgenre, etc.
Le mot lesbienne a également été choisi par Google pour afficher cette bannière de célébration. Mais le mot lesbienne n’est pas comme les autres sur Google : celui-ci ne donne pas lieu à des résultats de recherches « classiques » comme « gay » ou « homosexualité ». Il ne renvoie que vers des sites pornographiques.
Le mot lesbienne ne renvoie que vers du porno et c’est un problème
Ce problème a été soulevé à de nombreuses reprises par des activistes : il a été à nouveau mis en avant il y a deux mois par le mouvement intitulé « SEOLesbienne », qui vise à tirer la sonnette d’alarme et donner des conseils pour rééquilibrer ce traitement différencié dont sont victimes les femmes lesbiennes.
Nous vous expliquions ici tous les mécanismes à l’œuvre qui justifieraient que Google indexe uniquement des sites pornographiques dans la première page des recherches concernant le mot « lesbienne ». Le premier est évident : un très grand nombre d’internautes effectuent ces recherches et attendent ces résultats. Dans le langage SEO, on appelle ça de l’association thématique, comme nous l’expliquait le spécialiste SEO de Numerama : « Dans le domaine du porno, le mot ‘lesbienne’ est très recherché, donc naturellement Google va associer cette typologie de requête au domaine du porno. » Beaucoup de géants de la tech refusent d’ailleurs par défaut l’utilisation du mot lesbienne, comme Facebook, car il est associé par défaut à de la pornographie.
Rajouter à cela le fait que très peu de sites et de médias utilisent encore le mot « lesbienne », considéré tabou, permet aux sites porno de truster tranquillement les premières places sur Google. Contactée à l’époque par Numerama, le géant de la recherche en ligne n’avait pas donné suite à nos questions.
Deux mois plus tard, le constat est donc d’autant plus amer : Google n’a pris aucune action pour modifier son algorithme, mais il n’a, en revanche, pas oublié d’ajouter sa bannière de célébration du Mois des Fiertés sous le mot « lesbienne ». Le paradoxe est alors immense : lorsque l’on effectue une recherche, on tombe ainsi sur un hommage aux combats des personnes LGBT+ qui se sont battues pour être reconnues et contre les discriminations… suivi de centaines de liens porno qui réifient la femme lesbienne et renforcent des stéréotypes dangereux pour les femmes lesbiennes.
Une maladresse qui a beaucoup de sens
L’apparition de cette bannière est probablement une maladresse plus qu’un choix — contacté récemment, Google n’est pas encore revenu vers nous au moment de publier cet article —, mais elle montre le décalage entre les grands discours publiques (de nombreuses entreprises de la tech célèbrent bruyamment le Mois des Fiertés, quitte à être parfois accusées de pink washing) et les actions concrètes.
« Voilà ce qui arrive lorsque Google et internet s’assurent que le mot ‘lesbienne’ soit un synonyme de ‘sexe créé pour divertir les hommes’», s’est indignée l’association European Lesbian Conference sur Twitter, après que deux femmes auraient été rouées de coups par quatre hommes à Londres, le 6 juin 2019, parce qu’elles auraient refusé de s’embrasser devant eux.
Internet n’est pas un lieu à part de la société : il en est le miroir et les actions qui se passent en ligne ont des conséquences dans la vie hors ligne. Google (comme d’autres entreprises) le sait bien, et fait régulièrement le choix de modifier son algorithme pour censurer certains termes liées aux recherches qu’effectuent les internautes, que cela touche au racisme, antisémitisme, à l’homophobie, au terrorisme ou aux recherches pornographiques sur Google Images, qui sont largement censurées. Il s’agit d’un filtrage qui résulte souvent par la non indexation, ou sous indexation, de certains contenus qui posent problème.
Il n’est donc pas hors de portée de la multinationale américaine d’effectuer des modifications pour lutter contre les discriminations — il faut cependant prendre en compte la force des sites pornographiques et les enjeux financiers derrière une bonne indexation sur Google.
Récemment, la communauté de Wikipédia a enfin accepté que soit modifiée la définition de la page « lesbianisme » et que la photo soit remplacée, alors qu’elle montrait jusqu’ici deux femmes sexualisées qui « miment une relation lesbienne ». De même, Facebook a récemment accepté l’utilisation du mot « Lesbienne » dans la page du mouvement SEOlesbienne (après l’avoir refusé à priori). À quand un réveil de Google ?
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