Le référendum d’initiative partagée (RIP) visant à empêcher la privatisation des aérodromes de Paris fait depuis peu l’objet de toutes les attentions : d’abord, parce que les Français et les Françaises peuvent depuis le 13 juin apporter leur soutien à cette démarche. Ensuite, parce que les premiers pas de cette consultation nationale se sont avérés hésitants, avec des soucis d’accessibilité, auxquels s’est ajoutée une conception peu conviviale du service, rendant ardu l’ajout de sa signature.
Cela étant, ces difficultés devraient progressivement se dissiper dans les jours à venir (par exemple, la consultation dure neuf mois : s’il n’est pas possible de signer tel jour, parce que le site est HS, il est toujours envisageable de retenter plus tard). Par contre, un débat autrement plus sérieux commence à poindre à l’horizon — Marianne a ouvert le bal dès l’ouverture du référendum — et celui-ci est susceptible de durer, car il est question de la publication de l’identité des pétitionnaires sur Internet.
Dans les mentions légales
Une surprise ? En principe, pas vraiment : dans les mentions légales du référendum d’initiative partagée, il est écrit noir sur blanc que « la liste des électeurs soutenant une proposition de loi [en l’occurrence, celle visant à affirmer le caractère de service public national de l’exploitation des aérodromes de Paris, ndlr] est accessible par ordre alphabétique des noms des électeurs ». Mais dans les faits, il est relativement établi que personne ne lit vraiment ces documents.
« Cette liste, accessible aux seules fins de consultation, précise pour chaque électeur soutenant la proposition de loi son nom, son ou ses prénoms et sa commune d’inscription sur les listes électorales », poursuit le site du ministère de l’Intérieur. Pour les personnes se trouvant à l’étranger et inscrites sur les listes électorales consulaires, sont indiqués le nom et le ou les prénoms. Les individus voulant conserver leur anonymat risquent de tomber de haut en découvrant cette spécificité.
Pourtant, un référendum d’initiative partagée, malgré le caractère solennel qui peut lui être associé, puisqu’il permet à la population de participer plus directement à la vie politique en soutenant une proposition de loi, n’est fondamentalement rien de plus qu’une pétition. De ce fait, il n’est pas soumis aux mêmes exigences constitutionnelles qu’un scrutin politique (comme le secret du vote). Pourtant, le « RIP » peut aussi avoir un caractère éminemment politique.
Faut-il de l’anonymat pour les RIP ?
Cette particularité, des élus s’en émeuvent. Cité par nos confrères de Marianne, le député François Cornut-Gentille, membre des Républicains, déclare « craindre une forme d’auto-censure de la part des fonctionnaires, même s’il faut espérer que les gens passeront outre ». Pour son collègue Jean-Michel Clément, député centriste, il faudrait pouvoir élaborer un moyen de «permettre à un signataire de demander à rester anonyme ». On devine que ce serait pour éviter d’avoir des ennuis ultérieurs.
Il n’est pas difficile d’imaginer les dérives potentielles : un fonctionnaire pourrait s’abstenir de signer par peur d’un retour de bâton de sa hiérarchie (mais celle-ci s’embêterait-elle à vérifier si son personnel est allé signer ?). Idem pour un salarié dans le privé dont la société a un intérêt à cette privatisation. La direction pourrait en prendre ombrage. On peut même imaginer le cas inverse, celui où tout le monde signe sauf quelques individus isolés. De quoi générer facilement des tensions sur des sujets très politisés.
Lorsque les pétitions n’existaient que sur papier et que leur visibilité sur le net était nulle ou insignifiante, la problématique de l’anonymat des pétitionnaires ne se posait pas vraiment. La liste des signatures était inaccessible ou ne rencontrait aucun écho. Aujourd’hui, on a en quelque sorte changé d’échelle. Les parlementaires interrogés par Marianne conviennent que la loi fait défaut et que dispositions législatives devront être imaginées pour assurer la confidentialité des signataires.
Cela étant, la levée de l’anonymat peut aussi avec des arguments en sa faveur. « On parle beaucoup de démocratie participative en ligne », observait Mounir Mahjoubi en début d’année, quand il était encore secrétaire d’État au numérique. « On ne va pas continuer à avoir des pétitions qui sont signées par des comptes anonymes. Si on veut que ces pétitions soient fortes, il faut qu’elles soient signées par des citoyens », estimait-il. Sinon, la sincérité de la pétition n’est pas garantie.
Des mesures votées sous Hollande
Une chose est sûre : la législation actuelle n’est pas du fait de la majorité en place. Elle découle de deux lois de 2013, une organique et une ordinaire, ainsi que d’un décret d’application, de 2014, tous pris pendant le mandat de François Hollande. Le gouvernement actuel ne fait en l’espèce qu’appliquer les textes de la précédente équipe exécutive. Quant à la CNIL, dans une délibération de 2014, elle a fourni un certain nombre de recommandations en pointant les risques d’usurpation d’identité et de détournement de finalité.
« La création d’une liste électorale nationale regroupant potentiellement au moins 4,5 millions d’électeurs présentait certains risques, notamment en termes d’usurpation d’identité », écrivait la CNIL. Elle invitait aussi le ministère de l’Intérieur à « mettre en œuvre les mesures adaptées pour éviter tout détournement de finalité », comme la récupération des données de manière automatique et leur suppression au bout d’un certain temps.
« La création d’une liste regroupant 4,5 millions d’électeurs présentait certains risques »
La CNIL notait aussi que le législateur « a expressément prévu plusieurs infractions pénales spécifiques notamment en cas d’utilisation détournée et d’usurpation des données des électeurs traitées dans le cadre de cette nouvelle procédure référendaire ». Elle ajoutait aussi la nécessité de bien informer le public « de façon complète et pédagogique », sur le fait que tout soutien est rendu public pendant un temps.
Dans le cadre du référendum d’initiative partagée sur les aéroports de Paris, la liste sera rendue publique « à compter du début de la période de recueil des soutiens et jusqu’à l’expiration d’un délai de deux mois suivant la publication au Journal officiel de la décision du Conseil constitutionnel », à la condition que la pétition recueille au moins le soutien d’un dixième des électeurs inscrits sur les listes électorales — c’est-à-dire environ 4,5 millions de signatures.
Une fois ce délai écoulé, leur destruction complète est prévue par la loi. Cette suppression peut même survenir immédiatement dans certains cas de figure. Il est aussi à noter que certaines dispositions du Règlement général de la protection des données, comme les droits d’opposition et d’effacement, ne s’appliquent pas à ce traitement, au contraire des droits d’accès et de rectification. Impossible, donc, de se servir du RGPD pour tenter de retirer un soutien que vous regretteriez.
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