Dans le vaste monde des cultures de fans, la fanfiction politique occupe une place particulière. Entre satire et romances plus classiques, politiciens, journalistes et personnes lambdas se croisent au détour d’histoires parfois très politiques.

Laurie est la fille d’Emmanuel Macron. Elle a 17 ans, est en terminale ES dans un lycée privé très chic où elle côtoie le rejeton de Gérard Collomb. Elle observe avec mépris les gilets jaunes passer sous les fenêtres de son lycée. Sa routine va être perturbée par une idée de son père pour calmer la crise : la marier à un gilet jaune…

Bien sûr, ceci n’est pas une histoire vraie, mais le synopsis de Mariée de force à un Gilet jaune, une fanfiction commencée en février et publiée sur la plateforme d’écriture Wattpad par myraisin. Elle compte, mi-juillet, 13 800 lectures pour trois chapitres.

Derrière ce pseudonyme se cachent Julie, Camille et Léa*, trois sœurs de treize, quatorze et seize ans, engagées sur les questions écologiques, d’égalité et de droits humains. « Notre idée était à la fois de parodier les fanfictions Wattpad et de parler de faits d’actualité de manière assez légère, en montrant nos opinions politiques », racontent-elles.

Leur histoire attire un public « plutôt jeune », souvent arrivé là par Instagram ou Twitter. On y trouve, pêle-mêle, des références à la remarque d’Emmanuel Macron sur le fait de « traverser la rue pour trouver du travail », des commentaires sur les chômeurs, ou des mentions de l’affaire Benalla. Il n’est pas rare de voir des lecteurs ou lectrices s’indigner d’une remarque méprisante de Laurie envers les gilets jaunes.

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Quand Macron tombe amoureux d’un gilet jaune

Aurèle, 15 ans, en lycée général, a également été inspirée par ce mouvement. Elle est l’autrice de L’essence de notre amour, une autre histoire qui connaît un petit succès sur Wattpad. Dans sa fanfiction, c’est le président de la République lui-même qui est au cœur d’une romance, « avec un attirant et mystérieux Gilet jaune ». « J’en ai eu l’idée alors que je lisais des histoires humoristiques mettant en scène Emmanuel Macron avec divers chefs d’État ou ministres », explique l’autrice. « Sur Wattpad, les gens adorent les fanfictions avec une histoire d’amour entre deux personnages rivaux. Quoi de mieux qu’une histoire entre un manifestant et le président qu’il hait de tout son cœur ? »

Ces fanfictions « gilets jaunes » appartiennent à un sous-genre particulier de la fanfiction, le « political RPF », acronyme de « Real Person Fiction », des histoires écrites sur des personnages réels. Livre, film, série, bande dessinée… Les sources d’inspiration sont inépuisables pour imaginer une suite ou réécrire l’histoire. La fanfiction est un univers vaste, où cohabitent de nombreux « fandoms », les univers dans lesquels se déroulent les histoires, et de multiples sous-catégories. Parmi celles-ci, le RPF occupe une place à part.

Le RPF politique se développe en parallèle du RPF culturel

« Le RPF est une niche au sein des pratiques de fans qui existe depuis les débuts de la fanfiction moderne », explique à Numerama Sébastien François, sociologue des médias et spécialiste des cultures de fans. « Dès l’époque de la folie Star Trek, on trouve des fanfictions avec les personnages de la série qui rencontrent leurs acteurs et actrices, par exemple. À partir des années 1990-2000, on voit émerger des RPF sur des musiciens, notamment les boys band », comme les groupes Tokio Hotel ou One Direction. Le RPF politique se développe en parallèle. « C’est un « fandom » de petite taille, mais qui tient dans le temps. C’est suffisamment ancien et solide pour qu’il existe des catégories spécifiques sur les sites », constate Sébastien François.

La catégorie « Political RPF » sur Archive of Our Own, un site de fanfiction populaire, contient 2 340 histoires. Dans la sous-catégorie « France du 21e siècle », on croise des membres du gouvernement, Alexandre Benalla – dès le 27 juillet 2018 –, les anciens présidents Jacques Chirac et François Hollande, Arlette Laguiller et Christiane Taubira… Mais aussi des couples comme Marine Le Pen/Jean-Luc Mélenchon, Gérard Collomb/la xénophobie, ou Yann Barthès/Martin Weill, de l’émission « Quotidien ».

« Les gens veulent qu’une histoire qu’ils aiment se poursuive »

Chris*, 28 ans, a découvert le fandom de « Quotidien » quand « Yann [Barthès] a annoncé qu’il quittait Canal+. On ne savait pas encore qu’il irait sur TMC, j’avais besoin de remplir ce vide que la fin du Petit journal laissait en moi. En cherchant des informations sur « l’après », je suis tombée sur une fanfiction. »

Une démarche similaire à celle qui amène de nombreuses personnes vers des fandoms plus classiques, comme nous l’explique Anne Jamison, professeure associée d’Anglais à l’université d’Utah et spécialiste de la fanfiction. « Parfois, le RPF est le type de fanfiction le plus basique qui soit : les gens veulent qu’une histoire qu’ils aiment se poursuive, ou se termine différemment. Ainsi, Obama est toujours président, ou Hillary gagne les élections, ou Bill et Hillary gèrent leurs difficultés conjugales… ou bien ils combattent le crime ensemble. »

Yann Barthès, héros de fan fiction malgré lui // Source : Le Petit Journal

Yann Barthès, héros de fan fiction malgré lui

Source : Le Petit Journal

Chris appréhende d’ailleurs ces hommes bien réels de la même manière que les héros des autres fandoms, « comme des personnages. Je recherche juste à décortiquer les relations et imaginer ce qui se passe hors caméra, prolonger le plaisir en inventant ce qu’on ne sait pas. J’utilise leur image publique, et le reste n’est que mon imagination, donc où serait le mal ? »

Car écrire sur des personnes réelles jouit d’une réputation controversée même dans les communautés de fanfiction. « Sur le site fanfiction.net, les catégories dédiées au RPF qui étaient très développées ont été retirées, par peur de problèmes judiciaires notamment », raconte Sébastien François. Chris concède : « C’est un peu les utiliser malgré eux, c’est délicat à assumer. Certaines fans ont montré [aux stars de « Quotidien »] des fanfics +18 les mettant en scène, c’est un manque de tact hallucinant ! »

Ces histoires réservées aux plus de 18 ans, parce qu’elles comportent des scènes de sexe explicites, constituent une grande part des fanfictions. Le RPF politique n’y fait pas exception. « La fanfiction est un moyen d’exercer un certain contrôle sur des gens qui ont beaucoup de pouvoir sur nous, commente Anne Jamison. Aussi longtemps qu’il y a eu des politiciens, je parierais qu’il y avait du porno écrit sur eux. La satire romaine par exemple, pouvait être assez osée, et les écrits pornographiques sur Marie-Antoinette étaient une grande tendance du XVIIIe siècle. »

MacDeau, la fan fiction du G7 // Source : Emmanuel Macron sur Twitter

MacDeau, la fan fiction du G7

Source : Emmanuel Macron sur Twitter

Mise à distance de la politique

Ce n’est pas parce que c’est sexuel que c’est positif, au contraire. Ainsi, selon Anne Jamison, « la fanfiction sur Trump est presque toujours politique, et dénigre Trump et/ou la personne avec qui il finit au lit ». La fanfiction permet ainsi une mise à distance, et de se prononcer de manière détournée sur des sujets brûlants comme l’affaire Fillon, le Brexit, ou les relations Russie/États-Unis.

Mais ces fanfictions peuvent aussi se fonder sur une admiration, une attirance particulière… Ou de simples tweets ou photos sur lesquels les internautes projettent une histoire. C’est comme ça qu’est né le « Vallande », la romance entre Manuel Valls et François Hollande, qui faisait fureur en 2015-2016. Fleur, 26 ans, était alors étudiante en sciences politiques. « Le Vallande est apparu sur Tumblr autour de janvier 2015, après les attentats. Il y avait d’abord eu une photo de Hollande et Angela Merkel attristés, les gens ont commencé à blaguer sur leur relation, et ça a rapidement bifurqué sur le Vallande. Il est possible que ce « ship » [ndlr, nom donné à un couple dans la fanfiction, de l’anglais relationship] ait été un moyen pour nous de rire, de décompresser après des événements difficiles », analyse Fleur, qui évoque des histoires courtes et humoristiques, sans scène de sexe.

Si le Tumblr dédié était rempli de photomontages, le « ship » était aussi nourri par la réalité. « Sur les photos de presse, on les voyait proches, on analysait leurs gestes. Je me souviens d’un reportage dans lequel Hollande avait dit qu’il déjeunait tous les jours avec Valls, il avait plaisanté : « Je le vois plus que ma compagne ». On aimait bien quand notre délire était alimenté par la réalité. »

De la même manière, le couple « MacDeau », comme Emmanuel Macron et Justin Trudeau, l’un des plus populaires du moment, a pris beaucoup d’importance à partir de mai 2017. Les « fans » ont été inspirés par des photos à l’ambiance très romantique, publiées à l’occasion du G7 en Sicile.

Comme le « Vallande », cette romance très populaire dépasse le simple cadre de la fanfiction et fait l’objet de mèmes sur Twitter ou Facebook. « Les mèmes et la fanfiction sont liés, tous deux sont des œuvres transformatives et offrent en général des récits alternatifs », explique Anne Jamison. Ainsi, les mèmes sur la « bromance » entre Joe Biden et Barack Obama, qui ont fleuri à la fin de leur deuxième mandat, ont repris de nombreux codes de la fanfiction. « Parfois les mèmes inspirent la fanfiction, où ils partagent une influence, c’est le cas avec le « Joebama ». »

Car depuis quelques années, à l’aide des réseaux sociaux notamment, les codes de la fanfiction ou des cultures de fans se sont diffusés dans la pop culture mainstream, rendant ces sujets plus accessibles. La fanfiction politique, en particulier, semble trouver un écho important hors des cercles habituels de la fanfiction. Peut-être parce qu’elle peut nous permettre de digérer l’absurdité d’une actualité qui ressemble toujours plus à de la fiction.

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