Depuis 2015, Skype est capable de traduire en direct certaines conversations entre deux personnes ne parlant pas la même langue. Ce service de traduction automatique en temps réel gère une douzaine de langues (français, allemand, italien, japonais, russe, espagnol, anglais, arabe, mandarin, hindi, brésilien) et fonctionne non seulement sur ordinateur, mais aussi en cas d’appel sur une ligne téléphonique.
Sur le papier, tout ce processus se fait sans intervention humaine, via les algorithmes et outils de reconnaissance automatique de la parole conçus par Microsoft, la maison-mère. La réalité est quelque peu différente : grâce à un lanceur d’alerte anonyme qui a pris contact avec Motherboard, il vient d’être établi que les conversations qui passent par la traduction de Skype peuvent être écoutées par des tiers.
Manque de clarté
Pour appuyer ses dires, la source anonyme a fourni au journaliste des fichiers sonores, des captures d’écran et des documents démontrant que Microsoft mobilise des contractuels pour écouter des discussions afin d’améliorer la qualité de service. Or, ces agents sont de fait exposés à des propos pouvant être très personnels, voire relever de l’intime : sujets médicaux, conversations grivoises, situation sentimentale, etc.
Le problème, c’est que Microsoft n’explicite pas le fait que des individus sont susceptibles d’écouter certaines conversations. La foire aux questions de l’outil de traduction de Skype se contente de dire que « pour aider à la traduction et la technologie de reconnaissance vocale plus, des phrases et des transcriptions automatiques sont analysées et les corrections sont entrées dans notre système ».
Ce n’est pas le seul problème : toujours selon Motherboard, Microsoft déclare obtenir au préalable le consentement des utilisateurs pour collecter et utiliser leurs données vocales. Sauf que ce consentement est bancal : est-ce qu’en le donnant, les internautes savent que leurs propos seront susceptibles d’être écoutés par des tiers ? De toute évidence, il n’est ni ni éclairé ni spécifique.
Tout est automatique, ou presque
En principe, le fonctionnement de Skype Translator suit le schéma suivant : le logiciel va d’abord enregistrer ce qui est dit à haute voix, avant de faire une retranscription sous forme de texte avec un logiciel de reconnaissance automatique de la parole. Ensuite, le texte est traduit avec l’outil de traduction de Bing et le résultat est lu par une voix synthétique. Tout cela ne prend que quelques secondes.
Par ailleurs, Skype affirme que le logiciel s’appuie sur le principe de l’apprentissage automatique, une approche très courante dans le domaine de l’intelligence artificielle. En clair, cela veut dire que l’outil de traduction est censé s’améliorer à mesure qu’on l’utilise. En somme, plus on l’utilise, plus il est efficace. Et plus il l’est, plus il est intéressant de s’en servir.
Skype n’est pas le seul logiciel qui est concerné par cette écoute. L’assistant personnel de Microsoft, baptisé Cortana, est fans une situation équivalente, sauf que cette fois ce sont plutôt des requêtes prononcées à haute voix, qui peuvent être sensibles (des adresses postales pour demander un chemin au logiciel de cartographie ou pour l’écrire dans un mail) ou embarrassantes (des requêtes pornographiques).
Microsoft n’est pas un cas isolé
La source en contact avec Motherboard estime que Microsoft ne protège pas assez bien ces fichiers — la preuve, c’est qu’il n’a pas eu de difficulté apparente à les récupérer pour les envoyer au site. En outre, la personne affirme avoir déjà entendu d’autres employés plaisanter à haute voix de ce qu’ils ont déjà entendu sur Skype ou Cortana, ce qui dénote un manque de professionnalisme.
Sur Skype, il y a une option qui permet de demander du chiffrement de bout en bout mais elle n’est pas activée par défaut. En principe, cette fonctionnalité permet d’éviter qu’une conversation ne soit pas audible par des tiers. Mais de base, Skype ne propose que du chiffrement en transit, c’est-à-dire pour sécuriser les échanges pendant le transport — du PC de l’utilisateur jusqu’au serveur de l’entreprise, par exemple.
« Les gens utilisent Skype pour appeler leur moitié, passer des entretiens ou joindre leur famille pendant qu’ils sont à l’étranger. Les entreprises devraient être totalement claires sur ce qu’il advient des conversations et sur la façon dont elles sont utilisées », a indiqué un représentant d’une ONG spécialisée dans la défense des libertés dans le numérique, cité par Motherboard. Et il faut pouvoir refuser ce traitement.
La publication de ces révélations survient au moment où, justement, les autres grandes entreprises de la tech américaine sont empêtrées dans les mêmes difficultés. Plusieurs articles de presse ont documenté le fait que Google, Amazon et Apple ont aussi procédé à l’enregistrement de conversations privées pour améliorer la qualité de leurs services. Mais devant la bronca, elles sont maintenant en train de reculer.
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