Le milieu du jeu vidéo n’est pas épargné par les problématiques de sexisme et d’abus sexuels. Les 26 et 27 août, plusieurs femmes qui y travaillent ont témoigné sur Twitter d’agressions qu’elles disent avoir subi. Elles auraient été perpétrées par des hommes importants du secteur qui se seraient servis de leur notoriété pour faire pression sur elles.
Nathalie Lawhead a publié le premier témoignage de cette vague le 26 août. La développeuse indépendante indique : « J’ai écrit un article de blog que vous devriez lire, j’y dénonce et nomme mon violeur. » Les noms des personnes accusées ont été diffusées publiquement.
Un « mentor » dans une période difficile
Les faits relatés remontent à novembre 2008. Elle est contactée par un studio de Vancouver pour travailler sur un jeu vidéo. Cela lui semble être une « opportunité excitante » : à l’époque, Nathalie Lawhead — qui avait la vingtaine — a du mal à se faire une place dans le secteur.
Peu après son embauche, la développeuse déchante. Elle est soumise à un rythme difficile à tenir, et le projet est mal géré par les équipes de management. Les chefs de projet auraient une fâcheuse tendance à disparaître quand il faut prendre les décisions, raconte-t-elle. Ils lui demandent aussi sans cesse de tout recommencer à zéro, sans mesurer la charge de travail que cela représente. Elle songe à partir mais c’est l’une de ses premières expériences : elle n’ose pas.
Elle rencontre alors J., un compositeur de musique de jeux vidéo, lors d’une soirée d’entreprise. Elle admire beaucoup son travail et son côté passionné. Ils se revoient, deviennent amis. Nathalie Lawhead voit en lui un « mentor » car il lui promet de l’aider, dans son travail mais aussi pour des problèmes personnels, à propos de son Visa notamment, qu’elle craignait ne pas voir renouvelé. Il lui partage aussi sa vie personnelle et amoureuse qui selon lui, serait une série de déceptions à cause de femmes mal intentionnées.
Mais plus il fait part de ces histoires, plus la développeuse se met à douter. « Il devenait de plus en plus sombre et à ce stade, je me demandais s’il n’était pas en fait l’auteur des [choses horribles] qu’il disait avoir subies », dit-elle.
Après le viol, le dénigrement
J., qui était un ami de son patron aurait également commencé à lui faire sentir que si elle le rejetait, elle pourrait perdre son emploi. « Il est devenu misogyne et sexiste », se souvient-elle. Après de nombreuses allusions à des actes sexuels, Nathalie Lawhead lui a fait savoir qu’elle ne souhaitait pas plus que de l’amitié. « Il a été très menaçant et n’a pas écouté. Il m’a fait comprendre que c’était lui ou l’échec professionnel. Il m’a violée », témoigne-t-elle.
Malgré le traumatisme, la développeuse a continué sa vie. Elle s’est même forcée à travailler pour J. plus tard lorsqu’il lui a demandé. Elle avait peur pour son Visa et comme il était très populaire dans le milieu, elle craignait aussi de ne plus jamais trouver d’emploi si elle lui tenait tête. J. ne l’a jamais payée pour ce travail.
Nathalie Lawhead fait ensuite état d’une autre expérience difficile dans le milieu, qui s’est soldée par une sorte de burn-out. Son patron aurait exigé d’elle des cadences insoutenables. Il était un ami proche de J. qui « a dit beaucoup de choses » sur elle pour « s’assurer qu’elle n’ait aucune chance ».
La développeuse a aujourd’hui réussi à se faire une place mais elle reconnaît avoir été chanceuse. « La plupart des victimes ne survivent pas à ça, dit-elle. (…) j’ai eu de la chance d’avoir une famille qui m’a soutenue quand j’étais plus que brisée. » Elle pointe du doigt les personnes qui défendent les violeurs en expliquant que leur travail est trop important pour les boycotter.
Selon elle, le monde du jeu vidéo indépendant n’est pas non plus épargné par le sexisme et les violences sexuelles. « Je reçois souvent des messages de femmes qui me mettent en garde contre quelqu’un d’autre », détaille-t-elle.
Les victimes ont gardé le silence durant des années
À la suite ce premier témoignage, d’autres femmes ont pris la parole publiquement. Sur Twitter, Zoë Quinn lui a répondu. « J’ai eu une expérience similaire quand j’ai débuté », écrit-elle.
Zoë Quinn est également développeuse de jeux vidéo. Elle est notamment connue car son histoire a été au centre d’événements qui ont déclenché la controverse du GamerGate : elle a objet d’une vague de harcèlement extrêmement violente en 2014.
Elle a publié un témoignage le 27 août. « Je suis restée silencieuse à propos de ça durant la quasi-intégralité de ma carrière et je ne peux plus continuer », dit-elle.
Elle décrit une agression sexuelle, subie seulement quelques mois après ses débuts dans l’industrie du jeu vidéo. Elle aussi dit avoir gardé le silence car elle craignait de perdre son Visa et sa crédibilité professionnelle.
Zoë Quinn évoque ensuite un autre grand nom du milieu, A. Elle raconte qu’il aurait également abusé d’elle et qui l’aurait agressée sexuellement, dans une période de sa vie où elle était particulièrement vulnérable. Lorsqu’elle a réussi à se détacher de son emprise, il aurait tenté de ruiner sa réputation. Il aurait notamment assuré à ses amis du milieu qu’il voulait se suicider à cause d’elle et de son mauvais comportement. Elle a longtemps évité certaines conventions dédiées au jeu vidéo car elle craignait de l’y croiser.
Des abus en série
D’autres femmes ont partagé des histoires à propos de ce même A. Une développeuse indique que ces 5 dernières années, « quatre femmes différentes [lui] ont dit de rester éloignée de A. car il représente un danger pour les femmes. »
Mina Vanir, qui travaille dans la communication pour une entreprise de jeux vidéo, a elle rendu public des messages culpabilisants envoyés par un homme qui l’aurait harcelée et agressée sexuellement lors d’une convention.
https://twitter.com/MinasMorGhoul/status/1052178639494746112
D’autres femmes ont témoigné contre des personnalités différentes du secteur, comme l’un des fondateurs d’Oculus, l’entreprise dédiée à la réalité virtuelle. Une ex-employée dit avoir été harcelée sexuellement lors d’une fête dans cette même entreprise, devant une dizaine de personnes qui n’auraient rien fait.
Plusieurs récits font état de récidives. Adelaide dit avoir subi une relation abusive avec L., un développeur. « Il m’a agressée (…) et a agressé au moins une autre femme il y a deux ans », raconte-t-elle. Des collègues m’ont dit de rester silencieuse mais je ne me tairai plus. »
Enfin le #MeToo du jeu vidéo ?
Cette série de témoignages n’est pas sans rappeler la vague #BalanceTonPorc ou #MeToo, d’ailleurs mentionnée par quelques victimes présumées récentes. Ces hashtags invitaient les femmes à partager le sexisme ou les abus sexuels dont elles auraient été ou seraient victimes.
Plusieurs personnalités ont été pointées du doigt, notamment dans le milieu du cinéma. #MeToo n’avait en revanche pas atteint le secteur des jeux vidéo de manière significative pour le moment, comme l’expliquait Le Monde. Ceci était parfois lié à des accords de confidentialité ou à la précarité de certaines personnes qui ne pouvaient risquer leur poste et se mettre en danger. Le sexisme endémique du milieu, notamment révélé par le GamerGate, ont également probablement joué dans la crainte de parler.
Pour le moment, les personnes incriminées ou studios de développement n’ont pas réagi aux révélations. N’ayant pas pu enquêter nous-mêmes sur le sujet pour l’instant, Numerama a choisi de ne publier que leurs initiales, par respect pour la présomption d’innocence et sans contradictoire possible du côté des présumés responsables.
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