Publier des photos d’eczéma, psoriasis et Molluscum Contagiosum sur Instagram ne va pas forcément de soi. Le réseau social est d’ordinaire plutôt réputé pour ses clichés alléchants de voyages à Bali ou de brunchs tendances… Ellen Buchanan Weiss, une Américaine, a pourtant fait ce pari en créant début août le compte Brown Skin Matters. Il s’agit d’une banque d’images d’infections ou maladies sur des peaux brunes ou noires. Elle compte aujourd’hui près de 5 000 abonnés.
Le privilège d’être bien soignée
Ellen Buchanan Weiss n’est pas médecin. Elle est une femme blanche qui n’a jamais eu de problèmes à déterminer si elle avait de l’eczéma ou une piqûre d’insecte, car Google l’aiguillait dès qu’elle faisait une recherche. Elle n’a pas non plus eu de mal à faire reconnaître ses problèmes de peau chez les dermatologues ou autres médecins.
Quand elle a adopté un petit garçon, elle a compris que tout ceci était un privilège dont tout elle bénéficiait. Aujourd’hui âgé de deux ans, son enfant est né d’un parent hispanique et d’un parent noir. Elle s’est rapidement rendu compte que les maladies ou infections de la peau qu’il pouvait avoir ne ressemblaient pas à celles que l’on peut observer sur une peau blanche. La couleur des boutons ou tâches n’était pas la même, faussant son interprétation. « Comme beaucoup de parents j’allais chercher des informations sur Internet pour me rassurer mais je ne trouvais jamais rien qui corresponde à ce que mon fils avait », regrette-t-elle auprès de Numerama.
C’est d’abord pour des parents qu’elle a créé le compte Brown Skin Matters (« les peaux marron ont de l’importance »), dont le nom s’inspire du mouvement anti-racisme Black Lives Matter (les vies des personnes noires ont de l’importance).
« Finalement, j’ai été surprise de voir que des médecins que je ne connaissais pas s’intéressaient à mon projet, dit-elle. Ils représentent la moitié de mes abonnés aujourd’hui », raconte Ellen Buchanan Weiss.
Plusieurs professionnels et professionnelles de la santé l’ont contactée pour la remercier. Ils lui ont expliqué « qu’ils manquaient de formation sur les peaux non-blanches ». Les livres avec lesquels ils étudient durant leur scolarité contiendraient très peu voire pas d’images de peaux noires. Une fois qu’ils entrent en poste, il est plus difficile pour eux de reconnaître ou différencier des types d’infection sur ces dernières.
Des études surtout focalisées sur les peaux blanches
L’Américaine a choisi de publier ses photos sur Instagram pour pallier le manque d’informations sur le sujet. Elle envisage aujourd’hui d’aller plus loin en créant un site internet. Elle s’est beaucoup renseignée sur le sujet et nous explique que le problème commence à être peu à peu reconnu par le milieu médical.
En 2011, des chercheurs ont interrogé 500 étudiants en médecine en fin de cursus. 47 % d’entre eux ont estimé n’être pas suffisamment bien formés au sujet des peaux noires.
« Mais pour l’instant, ils reconnaissent le problème mais ne font rien pour le régler », regrette Ellen Buchanan Weiss. Son compte Instagram est la seule initiative à sa connaissance sur le sujet. Il existe bien un ouvrage à destination des dermatologues rédigé initialement en français mais il date de 1988. Depuis, la médecine a fait bien des progrès.
Elle évoque une forme de « racisme institutionnalisé, même s’il n’est pas volontaire ». « On voit les peaux blanches comme la couleur par défaut ici aux États-Unis, et on oublie bien souvent les autres », détaille-t-elle.
Ce serait d’autant plus problématique que tout ceci aurait des conséquences directes et potentiellement graves sur la prise en charge des patients.
Tous les patients ne sont pas logés à la même enseigne
La journaliste Jessica Cruel a écrit sur le sujet début août pour Refinery 29. Elle raconte le quotidien de femmes racisées qui n’ont pas été bien diagnostiquées ou qui l’ont été tardivement, parce que leurs médecins connaissent mal les corps ou produits utilisés par leurs patientes. L’une d’entre elles présentait par exemple une éruption cutanée au niveau du cuir chevelu. Plusieurs professionnels de santé ont mis en cause ses perruques, avec lesquelles elle n’avait pourtant jamais eu de soucis.
C’est finalement une dermatologue noire qui a trouvé le véritable coupable : un gel teinté destiné à camoufler ses « cheveux de bébé ». Il s’agit, explique la journaliste, d’un produit communément utilisé chez les femmes noires qui souhaitent garder leurs cheveux au naturel… Un fait qu’un ou une doctoresse blanche ignore visiblement. La journaliste Maya Allen avait également cité dans Byrdie plusieurs cas spécifiques aux personnes racisées, qui utilisent des produits pensés pour leurs besoins susceptibles d’occasionner des réactions allergiques ou autres.
Aux États-Unis, on compterait seulement 3 % de dermatologues noirs (6 % de médecins toutes spécialités confondues), d’après une récente étude. Or les afro-américains représentent plus de 13 % de la population américaine.
L’écart de traitement est tel que le taux de mortalité infantile des enfants noirs est plus élevé en moyenne que celui des enfants blancs. En matière de dermatologie, un patient noir n’est bien diagnostiqué pour un mélanome (qui peut être le signe d’un cancer de la peau) que dans 65 % des cas, contre 90 % pour son homologue blanc, d’après l’Académie américaine de dermatologie.
La créatrice de Brown Skin Matters en a fait les frais. « La pédiatre de mon fils avait du mal à identifier certaines pathologies. Elle était blanche. J’ai ensuite changé pour une pédiatre noire, raconte-t-elle. Elle avait plus d’expérience sur le sujet, c’était indéniable. » Elle estime que cette différence était liée à la couleur de peau de sa nouvelle pédiatre mais aussi au fait qu’elle ait plus de patients racisés.
La solution, estime Jessica Cruel, serait évidemment d’avoir plus de diversité dans le champ médical. Elle reconnaît pour autant que ce n’est pas simple. Beaucoup s’auto-censurent encore pour les études. Certains, explique une dermatologue, ne bénéficient aussi malheureusement pas de ressources financières suffisantes, surtout aux États-Unis où l’université peut coûter plusieurs dizaines de milliers d’euros par an. Les étudiants et étudiantes noires auraient en moyenne une dette liée aux études 85 % plus élevée que celle des étudiants blancs.
Les rares cabinets dans lesquels les patients racisés peuvent bénéficier de soins de bonne qualité seraient, eux, débordés, tant la demande est forte. « Je fais partie d’un groupe Facebook de parents d’enfants adoptés et quand j’en ai parlé, j’ai constaté que beaucoup rencontraient le même problème que moi », témoigne Ellen Buchanan Weiss. Cela ne concerne pas que les peaux noires. Les familles avec des enfants d’origine indienne, pakistanaise ou hispanique seraient aussi touchées, nous explique-t-elle.
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