Au festival Frames à Avignon, des vidéastes se sont penchés sur la question de l’écologie sur YouTube. Ils expliquent comment ils concilient ces deux centres d’intérêt qui peuvent sembler antagoniques.

Peut-on être écologiste et faire des vidéos sur YouTube ? Comment les produire en réduisant son impact environnemental au maximum ? Lors des journées professionnelles de Frames, un festival qui a débuté à Avignon ce mercredi 18 septembre, à laquelle Numerama s’est rendu, vidéastes et acteurs du milieu ont échangé sur le sujet.

À quoi ressemble un tournage responsable ?

Dès le début, le terme est posé. Concilier écologie et vidéos YouTube serait un « dilemme » dont il n’est pas simple de s’extirper. Pauline Gil du collectif Ecoprod — créé par des médias, il travaille à rendre le milieu audiovisuel plus respectueux de l’environnement — rappelle qu’en France, d’après une étude publiée en 2010 par un cabinet de conseil, la création audiovisuelle représenterait 1 % des émissions de CO2 de la production industrielle… soit l’équivalent de 410 000 aller-retours Paris-NYC par an. Elle commence toutefois par raconter une expérience positive qu’elle a mené avec Andrea Vistoli, fondateur de la boîte de production Et Bim

Tous deux ont travaillé sur une vidéo qui sera prochainement publiée sur la chaîne Les parasites, appelée L’Effondrement. Elle met en scène une dizaine de personnages fictifs qui doivent faire face à la fin de la planète telle qu’on la connaît aujourd’hui, à cause des dérèglements climatiques.

Comment parler de réchauffement climatique sans trop y contribuer ? // Source : Wikimedia/CC/Ittiz (photo recadrée)

Comment parler de réchauffement climatique sans trop y contribuer ?

Source : Wikimedia/CC/Ittiz (photo recadrée)

Pour produire ce contenu, Ecoprod a imaginé un « tournage responsable ». Car « si le porteur du message n’applique pas lui-même ses propres conseils, qui va le faire ? », justifie Andrea Vistoli. La première étape d’un tel tournage, explique-t-il, est de mettre en place des mesures « de bon sens » comme d’éviter le jetable, manger local pendant le tournage et trier ses déchets quand les mairies l’y autorisent — ce qui ne serait pas toujours évident.

Il prend aussi pour exemple le scénario. À première vue, écrire le texte d’une vidéo n’a pas un grand impact écologique. Pourtant, avant d’arriver à la version finale, il faut généralement entre 10 et 15 versions d’un même scénario. « Par coutume, on les imprime à chaque fois pour chaque technicien ou chef de poste présent sur le projet, détaille le gérant de Et Bim. Pour une vidéo comme celle des Parasites, ça représente entre 1 000 et 1 200 impressions de scénarios environ, alors que souvent, les gens à qui on les donne n’en ont même pas besoin ».

Pour y remédier, ils se sont contentés de n’imprimer des scénarios que pour ceux qui en avaient fait la demande expresse. Ils ont ainsi réduit « drastiquement » le gâchis de papier.

« Le monde du cinéma est un monde de traditions où on a parfois tendance à faire les choses par habitude, racontent les organisateurs du projet. Parfois, il suffit de peu pour améliorer les choses ».

Ils ont aussi mis l’accent sur la décoration, souvent éphémère, en utilisant du bois de récupération, et ont donné le matériel dont ils ne se serviraient plus à des écoles d’art afin qu’ils resservent.

Des réussites… et quelques échecs

« On ne fait pas moins bien en faisant propre », assure Andrea Vistoli. Pauline Gil s’amuse malgré tout de quelques petits échecs, comme lorsqu’ils ont cherché à rendre plus écologiques les caisses dans lesquelles on transporte le matériel de tournage. Ils ont voulu remplacer le scotch en plastique par des tendeurs et ont bricolé des étiquettes réutilisables en bois pyrogravé teintées grâce à de la levure de bière. Si l’on se doit de reconnaître leur inventivité, la première salariée d’Ecoprod admet que ça n’a tenu « que 30 minutes dans le camion » et que l’expérience s’est avérée désastreuse.

Les initiatives de ce type sont extrêmement rares pour le moment. Si Ecoprod travaille avec, et est financé en partie par des géants de l’audiovisuel comme France télévisions ou le CNC, il reste encore à découvrir comment appliquer leurs principes aux vidéastes. Ils sortiront en même temps que la vidéo des Parasites un making-of, afin de partager leurs erreurs et leurs réussites aux autres créateurs et créatrices de contenus sur le Web.

Ce qui polluerait le plus dans le secteur audiovisuel, selon Pauline Gil, « c’est le déplacement du spectateur vers les salles de cinéma ». Ce problème se pose à priori peu pour YouTube, où les films se comptent encore sur les doigts des mains dans l’Hexagone. Les déplacements des équipes eux, pourraient en revanche être réduits.

Réduire ses déplacements ?

Andrea Vistoli évoque notamment les dérives liées à la « glorification » de certains acteurs, pour qui l’on fait venir des loges privatisées de Paris vers d’autres régions de France, « tout ça pour 20 minutes au calme ». Il explique qu’en dialoguant avec ses équipes (et ses « techniciens au début un peu dubitatifs »), on parvient à faire comprendre que ce n’est pas forcément nécessaire.

Patrick Baud est vidéaste. Sa chaîne Axolot, qui parle de curiosités scientifiques ou historiques, compte plus de 500 000 abonnés. Récemment, il a voulu réaliser une série de vidéos baptisée Étranges escales. Le but était d’aller dans plusieurs endroits du monde et de raconter les mystères locaux.

« Ça m’a demandé 7 voyages, soit 14 trajets au total, pour y aller et revenir, dit-il lors du Frames. Je ne pouvais pas faire comme si de rien n’était, comme si ça n’avait pas d’impact écologique fort. »

Pour se « racheter », le vidéaste a trouvé une solution originale : compenser son empreinte carbone en plantant des arbres. Il a cherché un organisme sérieux qui recevait des dons pour la reforestation et a finalement jeté son dévolu sur une société française, ReforestAction. Il a alors fait face à un nouvel obstacle. « Pour récolter un maximum de dons, j’ai décidé de créer et vendre des t-shirts. Mais même si j’ai fait en sorte de trouver une entreprise locale avec de bonnes conditions de production, créer quelque chose pour compenser son empreinte n’était vraiment pas parfait », regrette-t-il.

Après avoir réussi à faire planter plus de 1 000 arbres dans la mangrove de Sumatra, il s’est lancé dans une réflexion plus poussée. « Suis-je prêt à sacrifier des contenus pour être en accord total avec ma conscience écologique ? », s’est-il demandé.

Le pouvoir de faire changer les choses

Magalie Payen, du collectif #OnEstPrêts qui avait lancé une grande campagne de sensibilisation à l’environnement, compare ce dilemme à celui que des scientifiques rencontrent lorsqu’ils sont invités à des conférences à l’autre bout du monde. « La question qu’il faut se poser, estime-t-elle, c’est est-ce que mon déplacement aura un impact suffisant pour compenser celui de mon déplacement. » Pour cette militante convaincue, la réponse est souvent oui lorsqu’il s’agit des vidéastes. « Vous avez un pouvoir, une influence énorme en tant que créateurs de contenus sur le Web », argumente-t-elle. « Les jeunes d’aujourd’hui s’identifient à des acteurs, des youtubeurs », appuie Pauline Gil à ses côtés.

C’est finalement ce qui a convaincu Patrick Baud de continuer sur cette voie. Récemment, il a voyagé dans des observatoires à plusieurs endroits dans le monde pour réaliser une vidéo sur les exoplanètes. « Même si le sujet pouvait sembler un peu éloigné, j’en ai profité pour casser un peu le fantasme qui veut que nous aurions une planète de secours, un plan B si on fait n’importe quoi avec la Terre », dit-il. Il sortira également bientôt un livre, Nature secrète, sur la biodiversité et les espèces animales en voie de disparition. Il estime ne pas être « un cas isolé » parmi les vidéastes. Beaucoup commenceraient à s’intéresser à la question. Lors de la conférence, plusieurs semblent en effet vouloir s’investir sur la question… sauf quand on leur suggère de réfléchir à deux fois avant de publier une vidéo de chatons, car cela prend de l’espace sur des serveurs polluants. « Ça se discute », entend-on alors dans la salle.

Pour le moment, aucun ne semble prêt non plus à quitter YouTube pour des alternatives peut-être moins polluantes, comme des systèmes décentralisés à la Peertube. Interrogé sur la question, Patrick Baud explique qu’il n’aurait rien contre l’idée, mais qu’il craint que ses messages n’aient pas autant d’impact ailleurs que sur YouTube. Pauline Gil propose alors, pleine d’enthousiasme, que YouTube paye pour compenser son empreinte carbone, « de la même manière que les fabricants de tabac doivent payer pour financer la recherche de lutte contre le cancer ». YouTube, qui n’était pas présent dans la salle, dit avoir mis en place une équipe pour travailler sur ces questions environnementales.

En attendant, quelques conseils sont aussi donnés aux abonnés, comme le fait de ne pas regarder les vidéos en 4K lorsque ce n’est pas nécessaire. De plus en plus d’entre eux mettent déjà en garde les vidéastes dans les commentaires lorsqu’ils cèdent un peu trop à la « fast-fashion » (mode peu durable et polluante) ou aux voyages en avion au bout du monde. Plusieurs personnalités du monde de YouTube avaient contribué à « attaquer l’État en justice » en décembre 2018 pour son inaction en matière environnementale.

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