Sur OpenStreetMap, un projet de cartographie participatif en ligne, la Corée du Nord est particulièrement détaillée. Pourtant, l’État se voit souvent qualifié de « pays le plus fermé au monde ». Wonyoung So, un chercheur rattaché au prestigieux institut américain MIT, s’est intéressé à ce paradoxe. Il a publié en août le résultat de son travail sur un site dédié interactif.
Wonyoung So est spécialisé dans l’analyse des villes et des nouveaux usages numériques autour de ce thème. Il s’est penché durant plusieurs mois sur l’identité des internautes qui cartographient la Corée du Nord sur la plateforme OpenStreetMap.
Le chercheur explique avoir été surpris par le niveau de détails sur la Corée du Nord dans OpenStreetMap (OSM). Dans cet État dictatorial, les citoyens ont un accès « extrêmement restreint » à Internet. En 2016 par exemple, on vous expliquait qu’on ne pouvait avoir accès depuis le pays qu’à… 28 sites internet. Seules les élites, comme des personnalités haut placées de l’armée, peuvent avoir accès à un Web plus large.
10 contributeurs ont rempli 61 % des données disponibles
« Pour un pays fermé à Internet, a constaté Wonyoung So, la qualité des données OSM en Corée du Nord-est extraordinaire ». Il a compté pas moins de 324 415 données renseignées par 889 contributeurs, depuis 2007. On en voit un aperçu ci-dessous. En jaune (visible surtout lorsque l’on zoome) et vert, les données indiquées entre 2007 et 2013 environ. En bleu, ce sont les données plus récentes : plus la couleur est foncée, plus elles le sont.
Ce qui a étonné le chercheur, c’est aussi la nature de ces informations. Beaucoup sont ce qu’on appelle des « points d’intérêt » qui ne peuvent être renseignés à priori que par des locaux. C’est le cas de statues, d’entrées d’un site nucléaire souterrain ou d’un restaurant chinois.
Il a recoupé les informations trouvées et en a déduit que 10 contributeurs avaient à eux seuls rempli 61 % des données disponibles sur la carte. 62 % des contributeurs ont écrit en coréen. 5 des 10 meilleurs contributeurs l’ont fait.
Tous ne vivent pas en Corée du Nord, ou du moins ils n’ont pas publié depuis ces pays. Wonyoung So raconte que parmi les 20 contributeurs les plus importants qui ont écrit en coréen, certains se sont connectés depuis la Chine, l’Allemagne, l’Inde, les États-Unis ou la Corée du Sud. Le top 5 a lui publié depuis l’Inde, l’Allemagne, l’Ukraine, la Russie et le Japon. Il constate que la plupart des internautes ont utilisé des images satellites en guise d’informations, comme les images de Microsoft Bing.
Des motivations diverses
Le chercheur s’est intéressé aux motivations de ces mystérieux internautes. Il a envoyé une lettre à chacun d’entre eux et a obtenu 211 réponses, qu’il a répertoriées sur son site. Les justifications sont différentes. Certains disent l’avoir fait sans visiter le pays, grâce à des images satellites, par simple curiosité, « pour s’amuser » ou parce qu’ils trouvaient l’endroit « mystérieux » et donc attrayant. lls ont parfois entendu parler du pays dans les médias avant de s’y intéresser. Un contributeur raconte : « Pour les données sur Séoul, j’ai été inspiré par la chanson Gangnam Style, j’ai regardé Séoul et j’ai vu que les cartes n’étaient pas très détaillées. » Il s’est lancé dans la cartographie de la ville depuis l’Allemagne, un peu par hasard.
Quelques-uns ont apporté leur pierre à l’édifice après avoir visité la Corée du Nord, parce qu’ils avaient constaté des erreurs. D’autres racontent avoir un historique familial qui les a poussés à s’intéresser à cet État. L’un indique que son père avait été sur place durant la guerre de Corée, qui a opposé le sud et le nord au début des années 1950.
Des contributeurs enfin évoquent des motifs humanitaires. « Je cartographie la Corée du nord pour aider les Nord-Coréens, dit un internaute resté anonyme. Je sélectionne des zones qui semblent être des points intéressants pour s’échapper. C’est important de cartographier les frontières, les routes et les villes qui bordent la Chine. » Il est en effet particulièrement difficile de sortir de Corée du Nord. En 2018, les images de la fuite d’un soldat qui avait fait défection sous les balles de ses collègues avaient fait le tour du Web.
Selon Wonyoung So, c’est un travail digne d’analystes de données ou de journalistes d’investigation que mènent des centaines d’anonymes depuis 2007. Quelles que soient leurs motivations, ils ont effectué un travail important de recherche, ont recoupé leurs sources avant de partager leurs connaissances. Il s’interroge malgré tout sur les utilisations malveillantes possibles de ces données. « Une cartographie, ce sont des données publiques sur les ressources et intentions de citoyens, conclut-il. Or l’open-data n’est pas seulement accessible par [eux] mais aussi par les institutions. » On pourrait effectivement craindre qu’en renseignant les points de fuite hors du pays, des internautes ne donnent aussi malgré eux des informations précieuses au gouvernement nord-coréen qui contrôle le Web local.
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