Hervé RonyNos confrères de PC Inpact nous proposent une interview de Hervé Rony, le directeur général du SNEP, qui vient de proposer (entre autres) de mettre sur la table la question d’un blocage général de certains protocoles de P2P comme Bittorrent ou eMule. Placé face à l’évidence que « le P2P est tout de même aussi utilisé à des fins légales », Hervé Rony répond : « Mais oui, mais est ce qu’on a réfléchi à mettre en place des protocoles légaux ? Est-ce que Jamendo est obligé de passer par eMule ? Je pose la question j’attends des réponses !« .

Donc, répondons.

Plusieurs réponses.

Tout d’abord, il y a bien eu des tentatives de « protocoles légaux » (qui ne laissent passer que du contenu légal), comme Peer Impact, Mashboxx ou le nouveau Songspy. Aucun n’a jamais marché, faute de demande de la part des consommateurs. L’idée du SNEP serait donc de couper le robinet des réseaux qui laissent passer des contenus piratés pour obliger les consommateurs à se porter vers des réseaux 100 % légaux.

Mais, deuxième réponse, il n’y a aucune emprise juridique contre des réseaux open-source tels qu’eMule ou BitTorrent, dont l’industrie du disque a fortemment encouragé le développement. En exigeant la fermeture de services P2P commerciaux comme Napster, Kazaa, Audiogalaxy, Morpheus ou Grokster, l’industrie du disque a réduit au silence les seuls acteurs avec lesquels ils pouvaient encore négocier, et qui avaient une responsabilité juridique effective. Pour eMule ou BitTorrent, qui sont nés par opposition, la situation est radicalement différente. Il s’agit de protocoles neutres, dont les spécifications sont publiques, et qui peuvent être utilisés pour tout et n’importe quoi, sans que quiconque n’ait le moindre contrôle sur ce qui est véhiculé. Que le contenu véhiculé soit légal, ou non. Si jusqu’à présent aucune plainte n’a été déposée contre eMule, c’est parce qu’une telle plainte est juridiquement impossible. Il n’y a ni motif réel de poursuites, ni surtout de personnalité juridique à convoquer au tribunal. Dès lors, qui aurait autorité pour désigner eMule comme « réseau P2P illégal » qu’il faut bloquer, si même un tribunal ne peut pas le reconnaître comme tel ? Soit la décision prise sera totalement arbitraire, soit elle sera assise sur des règles qui ne respectent pas la réalité du droit.

Enfin, troisième réponse, et la plus importante : la solution proposée par Hervé Rony est à la fois juridiquement et techniquement impossible à mettre en place sans heurter la nécessaire neutralité du réseau. Ne parlons même pas du filtrage proprement dit du protocole ; supposons qu’il soit effectivement réalisable. BitTorrent, eMule et probablement Gnutella seraient alors bloqués, impossibles à utiliser. Les utilisateurs seraient donc conviés vers des réseaux entièrement filtrés, où ne passent que les contenus pour lesquels les droits ont été négociés ou abandonnés. Les sites comme Jamendo, qui se servent d’eMule pour distribuer leurs albums, seraient eux-mêmes orientés vers ces « protocoles légaux ». Bien. Quelle est la procédure pour obtenir l’autorisation de diffuser un contenu sur ce protocole légal ? Est-ce une autorisation gratuite ou payante ? Est-elle immédiate ou faut-il un délai ? Est-elle attribuée de façon globale pour tous les contenus d’un fournisseur, ou contenu par contenu ? L’utilisateur du réseau qui souhaite partager un fichier personnel le peut-il immédiatement ? Qui peut améliorer le protocole et selon quelles procédures ?… On le sent bien, un « protocole légal » serait une usine à gaz extrêmement coûteuse et surtout totalement contraire aux exigences de neutralité du réseau qui veulent qu’un protocole ne soit pas réservé à un contenu spécifique, ou à des utilisateurs privilégiés. Soit le protocole est très souple dans la gestion des droits, et il ne règle aucun problème. Soit il est trop strict, et il devient inacceptable.

Notons toutefois que ces « protocoles légaux » existent. Ils s’appellent YouTube, DailyMotion ou Kewego. Ceux-là plaisent à l’industrie car ils peuvent être contrôlés. Mais faut-il pour autant interdire tous les autres ? Y a-t-il une hierarchie des œuvres, qui place la protection du catalogue des majors à un niveau plus important que la protection d’un logiciel open-source de partage de fichiers sur lesquels des centaines de développeurs ont travaillé pendant plusieurs années ? Dans l’état actuel du droit, un logiciel est une œuvre au même titre qu’une chanson. On imagine mal le gouvernement accepter de censurer une œuvre pour en protéger une autre.

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